Les sens multiples du parfum

Après 5 ans passés en projet Labo de Cléopâtre, explorant l’origine et la diversité des formes du parfum dans nos civilisations, c’est l’image d’un usage du parfum protéiforme tout autant qu’indispensable qui se dessine.

Ce qui monte vers dieux et esprits

Si l’étymologie du parfum – per fumum, par la fumée – laisse deviner les origines probables des premiers usages qu’on faisait du parfum, il faut reconnaître que de nombreuses utilisations de par le monde prouvent sa survivance dans les mœurs. Il faut dire qu’avec un peu de feu, une résine ou une plante à parfum, on est déjà dans l’offrande qui agrée aux dieux, aux esprits et qui nous les concilie.

Pourquoi donc s’en priver ? D’autant que ça fonctionnait avec les résines les plus précieuses d’Arabie comme avec la plus modeste branche de romarin, l’encens du pauvre.

Ailleurs dans le monde, sauge blanche, genévriers divers – dont des espèces diversement parfumées poussent un peu partout -, résines et bois odorants ordinaires ou précieux sont comme des cadeaux que la Terre ferait au Ciel depuis la nuit des temps, éclaboussant au passage les Hommes de leurs bienfaits.

Ces usages évoluant dans le temps et l’espace, la découverte de nouveaux territoires et de nouvelles plantes à parfum enrichissent la palette de ce qu’on peut offrir au divin.

Ainsi, la conquête de l’Inde par Alexandre le Grand a ouvert la porte au safran et au nard dans la culture grecque puis l’a diffusée dans tout le monde méditerranéen – la Bible de l’époque de Jésus le mentionne – pour s’étendre sur les pratiques religieuses mais aussi celles du luxe et de la coquetterie.

Plus tard, la colonisation des Amériques a permis d’autres découvertes parfumées dont celle du baume de Tolu venu remplacer le baume de Judée – devenu rare – dans des recettes sacerdotales datant des premiers siècle de l’ère chrétienne.

Mais chez les Hommes, les intérêts du divin se mêlent toujours aux intérêts humains. Comme les dieux, les esprits qu’on convoque en magie ou qu’on veut se concilier lors d’un événement particulier aiment les parfums et sont d’autant plus sensibles aux demandes qu’elles sont accompagnées d’offrandes d’encens : Afrique, Amérique, Europe, Asie, tous ont depuis la nuit des temps des pratiques de fumigation sacrées, symboliques ou magiques censées renforcer le lien entre les dieux, les esprits – djinns, loas, saints, ancêtres – et les Hommes.

– Parfums pour séduire

Si la littérature grecque se fait le témoin bien souvent de l’utilisation de parfum dans les pratiques religieuses, hygiéniques ou funéraires, elle n’échappe à celle qu’on lui connaît aujourd’hui : le parfum pour séduire.

Les courtisanes de Lucien, les épouses d’Aristophane, sont déjà des femmes dont on pourrait dire qu’elles cocottent – du nom de ces courtisanes du 19 ème siècle qu’on repérait rapidement à Paris – et qu’ainsi on n’oubliait pas ! – à leur parfum puissant et provocateur.

Évidemment, pas besoin de faire commerce de ses charmes : vouloir séduire, vouloir marquer l’esprit de celui qu’on aime ou marquer plus favorablement l’esprit de son mari quand on est dans un couple polygame.

En Afrique, dans les pays où on pratique la polygamie, la concurrence fait rage entre épouses d’un même homme, enrichissant et développant le commerce des artifices de séduction, vêtements sexy, lingerie, parfums – mélange de résines locales, mondiales et de parfums huileux issus de l’industrie et qui ont culturellement gagné une réputation durable comme ensorceleurs.

Ces accessoires indispensables sont censés posséder des vertus magiques et aphrodisiaques après lesquelles les femmes courent pour gagner la première ou unique place dans le cœur du mari, seule condition pour une meilleure qualité de vie.

– Performances techniques et industrielles

Mais en Occident où la chimie gouverne depuis le 19 ème siècle le monde de la parfumerie, le parfum prend d’autres voies plus confidentielles que celles du début de son histoire. Comme dans les premiers âges, le parfum permet toujours de séduire, de se distinguer autant socialement.

Les échelles de prix d’aujourd’hui rappellent la description que Pline fait des différents parfums à la mode à son époque et dont les meilleurs se faisaient dans différentes régions du monde – le parfum d’iris à Corynthe et Cysique, celui de rose à Phasèle, celui de safran à Solis, etc… – comme les parfums sont réputés à Grasse, à Paris ou en Italie.

Pourtant, c’est le défi technique et la compétition industrielle et publicitaire qui vont distinguer un parfum d’un autre, à partir de limites toujours repoussées. Dans la nature, en effet, rares sont les matières premières naturelles qui acceptent de livrer leur parfum.

Les chimistes ont trouvé le moyen de s’en passer et même de faire sentir une fleur muette sans utiliser celle-ci. Des performances qui font la réputation des grandes « Maisons » pour lesquelles travaillent ces parfumeurs chimistes dans leur laboratoire, et la fierté de ceux qui se vantent de porter le jus de telle ou telle « Maison ».

Le parfum chimique est aussi une façon économique d’inonder le marché d’odeurs à la mode : les jus se font à la commande, avec des ingrédients plus ou moins chers selon l’exigence de budget du client. C’est ainsi que vous retrouvez facilement des encens indiens réalisés industriellement en plongeant des bâtons dans des cuves de parfums chimiques français sentant finalement plus ou moins un parfum connu de Dior !

Alors, bien évidemment, quand j’arrive au marché de l’histoire avec mes produits faits à la main avec de vraies plantes, j’ai appris qu’en général, il est inutile d’aborder les vieilles dames, fidèles à la confiance en la science et la chimie de leur génération qui ne jurent que par Chanel et qui se méfient du reste.

Mais je peux quand même compter sur :

– les chercheurs, historiens et reconstituteurs et tous métiers en lien avec l’histoire et la culture

– jeunes préoccupés par l’environnement

– Africains et Africaines du Nord dont la façon de faire des parfums traditionnels du Labo de Cléopâtre ressemble tant à la leur.

D’ailleurs, quand Zohra, ma voisine d’origine algérienne me demande de l’encens, elle me dit : « Maud, s’il te plaît, un peu de parfum. » Moi, là où j’ai grandi, un parfum veut dire un liquide odorant majoritairement chimique sur base d’alcool. Même si depuis, j’ai changé de sentier…

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Réalisation d’une pommade 18 ème siècle en images

Le mois dernier, j’ai tenté une recette qui m’attirait depuis quelques temps, trouvée dans un ouvrage destiné aux parfumeurs et daté du 18 ème siècle.

C’est une pommade pour les lèvres légèrement teintée et comme toujours au 18 ème siècle, entièrement naturelle. Un siècle plus tard, les choses auront bien changé et la chimie s’invitera dans les parfums et cosmétiques.

Pour autant, en 1920, encore, quand apparaîtra le premier rouge à lèvres, il aura pour base les modestes ingrédients de cette recette : un cérat pour base, du raisin et de l’orcanette pour la couleur. Et c’est tout ? Et bien oui.

Le cérat chauffe tandis que les grains de raisin attendent l’heure de leur entrée en scène.
Les voilà réunis. Je les abats au presse purée.
Cuisson.
Je retire la chair et les pépins.
J’ajoute l’orcanette.
Après plusieurs tâtonnements, je décide de faire ce que je crois juste car l’ouvrage ne mentionne comment parvenir à une homogénéité.
Je remets le cérat que j’avais retiré du mélange.
J’unis l’un et l’autre : j’ai effectivement une pommade rosée.
Je mets en pots de format baume à lèvres contemporain. J’ignore comment étaient les contenants au 18 ème siècle.

Vous voulez sans doute savoir le reste : ça hydrate bien, ça a la force colorante d’un gloss discret, ça sent bon et le raisin laisse un délicieux petit goût sucré sur les lèvres. L’ouvrage précise que ce produit se conserve 2 ans !

Bien sûr, j’imagine qu’en fonction des variétés de raisin noir, il est possible d’avoir des couleurs plus ou moins intenses, sachant que celles-ci devaient être moins variées qu’aujourd’hui. En les identifiant, on aurait la palette des rouges possibles au 18 ème siècle, du moins pour cette pommade.

Enfin, c’est évidemment un produit pour les aristocrates, et forcément un produit saisonnier qu’on ne pouvait faire qu’à l’époque de la récolte du raisin. Il en était donc un peu du rouge à lèvres pour les dames comme du vin pour les messieurs.

Perle parfumée dans la parfumerie traditionnelle

Les sociétés anciennes comme les sociétés traditionnelles ont ceci de commun que leur manière de concevoir le parfum est très élargie, par rapport à celle de nos sociétés industrielles où la chimie a complètement changé notre rapport à celui-ci depuis bientôt 3 siècles. En Occident, un parfum, c’est un flacon de liquide qui peut aussi se diffuser en spray, et beaucoup plus rarement en concrète. On peut encore les décliner en savon, gel douche, déodorants et crème pour le corps.

Dans l’Antiquité, on considérait que le parfum était ce qui sentait de façon assez agréable pour qu’on ait envie de le porter sur soi, l’offrir aux dieux ou à ses morts. Entrent donc dans cette catégorie les résines et aromates qu’on faisait brûler pour la divinité, mais aussi pour parfumer ses vêtements, des poudres de plantes à parfum, et des couronnes de fleurs. Un système logique dans une société qui ne possède que ce que la Nature offre pour se parfumer, et qui sait multiplier les façons de le faire.

Car paradoxalement, effectivement, si les parfums occidentaux de la société industrielle sont complexes dans leur formulation chimique, leur variété est pauvre. A l’inverse, dans les sociétés anciennes, la palette est pauvre car elle dépend de ce que permet la Nature (pas en molécules odorantes, par contre, beaucoup plus nombreuses que dans un parfum chimique construit), mais les variétés de ce qu’on acceptait comme parfum étaient beaucoup plus grande : encens qu’on brûle, sachet odorant à porter sur soi, graisse parfumée par enfleurage, tissu imprégné d’une essence de bois ou d’autres ingrédients odorants, etc.

Photo de classe à Bora-Bora. Dans l’Antiquité, nous employions aussi les couronnes parfumées, comme l’attestent les textes des anciens philosophes grecs.

Parmi ces possibilités, une très intéressante consiste en des perles parfumées pour faire des colliers, bracelets et autres bijoux traditionnels, souvent religieux mais pas uniquement. Si elle n’est pas attestée pour l’instant dans les textes de l’Antiquité, c’est malgré tout une forme assez répandue pour figurer dans pas mal de civilisations, dont la nôtre – particulièrement pour la réalisation des chapelets.

Boutiques religieuses en ligne ou en dur proposent des chapelets en bois parfumé à la rose ou au jasmin, fleurs souvent associées à la Vierge Marie et qui donnent une dimension agréable et magique à l’acte de récitation du rosaire. Parfumé extérieurement aux huiles essentielles, ce sont des objets peu coûteux car faciles à réaliser.

Néanmoins, il exista en France un genre de perles pour chapelets aux recettes 100 % naturelles sur base exclusive de plantes à parfums et dont le résultat a l’avantage d’être à la fois agréable, équilibré et de remonter à plusieurs siècles, ce qui en fait un véritable produit de reconstitution historique – avec tous les inconvénients que ça occasionne : fragilité du produit, durabilité incertaine, etc..

Hormis ces inconvénients propres aux produits réalisés en matières naturelles, c’est un magnifique objet 100% reconstitué de notre histoire et dont la recette remonte au 18 ème siècle – si ce n’est plus loin.

Chapelet Vieille France

Sur cette base, en employant cette technique ancestrale, j’ai conçu plusieurs autres chapelets ou bijoux originaux, mais toujours en lien avec la botanique mythologique ou le patrimoine des civilisations.

Chapelet Mauvais œil aux herbes grecques
Chapelet latino aux perles de tabac
Chapelet Santa Muerte aux perles de tabac.
Collier Anubis perles de kyphi
Collier kyphi et authentique Ushbati (serviteur d’un défunt dans l’Au-delà)
Parure scarabée bleu perles de kyphi

Mais la perle parfumée, c’est aussi, et de façon bien plus simple, des perles taillées dans un bois ou un rhizome naturellement odorants.

Ce qu’il y a de particulièrement intéressant, avec la perle en bois parfumé, c’est que contrairement aux perles en pierre semi-précieuse, elle est moins répandue au niveau du commerce international. Son emploi en bijou est à la fois plus rare et plus typique d’une civilisation, et donc beaucoup plus porteuse de sens. En effet, notre façon d’aimer ou ne pas aimer une odeur sont beaucoup plus culturelles et radicales que notre façon d’accepter des gemmes.

Ainsi les perles de santal vont être présentes en Inde et dans quelques régions d’Asie – comme d’une manière générale dans la tradition bouddhiste. On y sculptera aussi les statues des divinités, et bien sûr, on en fait des mala dans les 2 religions.

Mala Ganesh perles de santal

Autre bois asiatique odorant au parfum moins connu en bois brut mais tout aussi naturel et magnifique, le camphrier, avec lequel je fais aussi des mala.

Mala bouddhiste camphrier

Mais comme c’est un bois particulièrement sacré et lié à la culture japonaise – comme on le voit dans le film Totoro – j’en fais aussi des bracelets Maneki Neko, dont la tradition, purement japonaise, s’apparente plus au shintoïsme.

Bracelet porte-bonheur Maneki-Neko camphrier

Enfin, dernier bois dont on fait des perles parfumées que je vous propose en boutique : le cyprès, arbre européen, cette fois, autrefois consacré à Hadès, et dont je fais des bracelets dans ce but.

Bracelet cyprès Père Hadès

Je fais aussi des bijoux pour Athena – et les Olympiens – avec des perles en bois d’Olivier, son arbre consacré. Ils ne sont pas odorants mais respectent la tradition grecque de l’Antiquité

Bracelet Protection hellénique bois d’olivier

En réalité, des bois ou autres végétaux parfumés dont on fait des perles, il en existe dans beaucoup de civilisations : l’Afrique en fait de traditionnels en gowé, dont l’odeur est magnifique et qui servent surtout à la séduction et aux rapports amoureux, le Maghreb en fait aussi de traditionnels et dans lesquels entrent les clous de girofle, notamment.

Le monde arabe, lui, aime les chapelets musulmans en bois d’agar, leur légendaire bois de oudh originaire d’Asie. Mais d’autres encore, jamais vus ou jamais sentis ayant pourtant existé : un bracelet mala en fèves Tonka, dont la mention a été rencontrée dans un livre de littérature classique Chinoise : Le rêve dans le pavillon rouge.

Vous l’aurez compris, si je donne autant de place aux bijoux parfumés en bois odorants ou mélanges de plantes, c’est qu’elles ont un vrai rôle – souvent relié à la religion et au sacré – dans les parfums traditionnels du monde entier et qu’il est temps de renouer avec la merveilleuse diversité de nos traditions à tous en matière de parfums naturels.

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Le jardin romain de Nîmes

Au musée de la Romanité de Nîmes a été aménagé un jardin où ont été concentrées les espèces employées dans l’Antiquité. Une occasion pour moi de rencontrer ma palette de végétaux vivante, dans le plein épanouissement de ses parfums et de ses couleurs…

Étant allée à Nîmes pour découvrir son patrimoine antique que je savais considérable et unique en France, je dois dire que je n’ai pas été déçue. De la Maison Carrée aux Arènes – très bien conservées -, en passant par la Tour Magne, c’est un belle concentration de vestiges uniques, que j’ai ainsi pu découvrir.

Mais ce qui m’a donné le plus de plaisir, je dois bien l’avouer, c’est que le Musée de la Romanité avait aménagé un jardin organisé de façon thématique et chronologique autour des espèces utilisées dans l’Antiquité par les Gallo-romains.

Que vous ayez acheté certains produits de la boutique ou que vous ayez tenté une recette de mon livre Fabriquez vos soins naturels de l’Antiquité, vous avez peut-être remarqué que je travaille avec une palette de végétaux à la fois restreinte – par rapport à celle d’aujourd’hui – et plus ouverte.

Restreinte parce que dans l’Antiquité, on ne connaissait pas la réelle vastitude du monde, et même si on pouvait l’envisager, on n’allait malgré tout pas très loin.

Aujourd’hui, à l’inverse, dans un monde devenu exploré et bien connu, où le commerce mondial s’est globalisé, les espèces utiles sont non seulement bien connues, mais font aussi l’objet de transactions acharnées à des échelles industrielles.

Une situation de fausse abondance dans laquelle la quantité prodigieuse d’échanges restreint le choix autant que la connaissance. Car au final, seules quelques espèces « star » sont connues et sur-exploitées, d’autres, plus ordinaires ou mésestimées vont se retrouver négligées ou ignorées par manque de prestige ou de visibilité, et surtout parce qu’elles n’ont pas su faire rêver.

Parcourez avec moi ce jardin thématique bien pensé, qui a l’avantage d’être le pendant chronologique et rare des jardins de simples de certaines églises de France – devenus courants dans les communes, mais qui, bien bien que pédagogiques et passionnants, sont toujours plus inspirés par le capitulaire de Villis et Hildegarde de Bingen que par Diocoride, Pline ou Varron.

Dans l’Antiquité, comme dans beaucoup de sociétés traditionnelles, les plantes locales et leurs usages étaient étroitement mêlés à la mythologie et au sacré.

L’achillée millefeuille porte le nom du héros Achille pour avoir soigné son talon blessé. Un don de la compassion d’Aphrodite.

Le figuier, dont les racines arrêtèrent la barque qui entraînait Romulus et Rémus nouveaux-nés à une mort certaine.

L’olivier d’Athéna dont elle fit cadeau aux Athéniens et qui lui valut d’être patronne de la ville grecque.

La vigne, née des larmes de Dionysos et du sang d’Ampélos. son amant mortel tué par un taureau.

Le pin, né du sang d’Atys, que la déesse Cybèle avait rendu fou en voyant qu’il lui préférait une autre.

Le laurier, issu de la nymphe Daphné, changée en arbre par échapper à Apollon.

Le myrte, qui avait caché la nudité d’Aphrodite lors de sa naissance et qui devint une de ses plantes consacrées, symbole de l’amour durable.

Le romarin, l’encens des pauvres, mais d’abord des premiers Romains et qu’on consacrait préférablement aux lares, génies très nombreux de religion romaine.

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Parfum antique, parfum traditionnel

C’est un propos sur lequel je reviens assez souvent, que l’expérience et la pratique m’ont fait adopter : ce que nous appelons parfum antique est quelque chose de toujours vivant dans les sociétés traditionnelles, ce qui me pousse à le considérer non comme le parfum antique mais le parfum traditionnel. En effet, ce que nous considérons comme le parfum des Anciens – car il était utilisé dans l’Antiquité, et avec lequel nous nous sentons tellement en décalage temporel – est en réalité celui que nous utiliserions encore si, à partir de la fin du XIX ème siècle, la chimie n’était venue remplacer les molécules odorantes au nombre de centaines dans une matière première naturelle par d’autres molécules moins complexes qui en imitent l’odeur.

Depuis, nous nous y sommes habitués et c’est devenu une culture telle que nous sommes capables de dire qu’un parfum sent un ingrédient qui n’y est pas du tout mais qu’on nous a appris aussi à reconnaître pour tel et qui de fait, lui ressemble un peu. Pourtant, si on remonte un peu en arrière, juste au XVIII ème siècle, on trouve des livres de pharmacie contenant des recettes de parfums aux ingrédients encore naturels et qu’on peut reconnaître comme étant celles des médecins de l’Antiquité, notées dès le I er siècle. Du I er au XVIII ème siècle, on peut vraiment parler d’une belle longévité.

Certes, ça ne s’est pas passé de façon aussi idéale, et après une éclipse dans laquelle les livres antiques furent perdus au nom du christianisme triomphant, on a fini par les faire revenir d’Orient où ils s’étaient réfugiés. Entre temps, la distillation est passée par là, mais avec la fugacité d’un parfum volatil dont l’alcool s’évapore, un parfum sec ou une boule parfumée d’ambre, de storax, de civette ou d’iris tels que ça existait pour parfumer gants et pomandiers, étaient bien plus durables dans le temps même si plus légers et discrets à la première rencontre.

Le parfum traditionnel, c’est une culture; celle dont il faut se déprendre : la chimique, – qui est répandue parce que souvent bon marché mais qui n’est pas si universelle – et celle qu’il faut découvrir, la naturelle et qui fait nos parfums initiaux, originels, dont les racines sont la Terre depuis l’aube de l’humanité – sous des formes parfois si inattendues comme une racine longue au séchage ou du vomi de cachalot.

En soi, puisque cette culture est locale, puisque nous n’avons pas la même culture du parfum selon que nous sommes européens, africains, asiatiques, etc..et ce jusqu’à des raffinements très spécialisés – comme pour toute culture ancienne -, elle est malgré tout universelle. Partout, en effet, on a employé et on a eu du goût pour ce qui poussait à proximité, ou ce que l’histoire des échanges commerciaux nous avait permis de découvrir de senteurs exotiques attisant le désir, les rêves de luxe et ouvrant les voies commerciales au trafic bien organisé comme les célèbres routes de l’encens. Un goût encore sublimé par la culture poétique et religieuse, le parfum servant autant les désirs amoureux que les dévotions aux dieux.

En effet, la poésie antique, la Torah, la Bible de Jérusalem comme les descriptions de jardins au Moyen-Age foisonnent d’évocations parfumées, d’images olfactives, de métaphores odorantes et amoureuses, particulièrement dans le Cantique des cantiques mais aussi dans la mythologie grecque. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Même dans l’invention d’un parfum chimique, le plus grand critère de réussite est d’être parvenu à imiter un ingrédient naturel, qui reste la référence incontestée même si, dans la réalité de nos perceptions, nous pouvons en être bien plus déconnectés que ce que nous pensions. Une femme qui sent la vanille fait peut-être rêver, mais qu’en est-il si on nous dit qu’elle sent la vanilline ( Vanille et Vanilline de synthèse ) ?

Dans les poésies omanaises, algériennes contemporaines mais traditionnelles, on évoque toujours l’encens, la rose, les épices comme au Moyen-Age on réunissait dans un même jardin des espèces inconciliables dans la nature mais que le goût, la culture et l’imagination avaient réunies : le nard, la myrrhe, le cèdre, l’encens, la cannelle..

Les parfums dits anciens, on les retrouve encore actuellement dans les préparations traditionnelles : colliers de perles parfumées artisanales de traditions algérienne, malienne, sénégalaise, les malas et bracelets de bois de santal, ou de oudh de la tradition asiatique, les rosaires de pétales de roses compressées de la tradition catholique. On les retrouve aussi dans les encens destinés à parfumer les vêtements, un peu partout en Afrique, au Moyen-Orient, en brut, ou transformés par une culture du parfum qui ne s’est pas reniée et cumule tout son savoir – des matières premières naturelles aux derniers parfums à la mode mêlés dans des créations nouvelles – dans des thiourayes et bakhoor.

On les retrouve également au Japon, qui préfère les senteurs naturelles et les belles matières premières – bois d’agar, de santal, de cèdre du Japon – dont il fait brûler le parfum délicat dans les tissus précieux ou tout simplement en les rangeant dans des meubles de bois parfumé. Quand j’étais étudiante, j’avais une amie japonaise qui rangeait ses mouchoirs dans un petit meuble en bois de santal pour qu’ils aient ce parfum. Autrefois, ça n’avait pas grand sens pour moi. Mais aujourd’hui que je travaille les senteurs antiques et traditionnelles, non seulement je le sais, mais cette façon qu’a le bois de santal de dégager son parfum me la rappelle, elle et l’appartement qui s’était imprégné de l’odeur naturelle du bois brut.

Ces expériences vous paraissent étrangères ?

A moi aussi, avant, cela faisait ça. Maintenant, elles parlent le même langage que les diapasmas, les encens antiques, les fumigations et kyphis que je propose dans ma boutique. Et vous le voyez, ce n’est pas un bond spatio-temporel qui a été fait mais un bond culturel dans les mentalités. Ce qui me fait dire ça ? On a essayé d’imposer les parfums chimiques aux Japonais. Mais on ignore pourquoi ils n’en ont pas voulu et sont restés au bois d’agar, au cèdre, santal et à l’huile de camélia.

Enfin, on ignore pourquoi…En vérité, on le sait !

(Photo à la UneParfum sec de roses, recette grecque ancienne; poudre junko du Japon multi-usage comme les parfums secs de l’Antiquité et toujours en usage comme déodorant et pour parfumer les kimonos; gowe, souchet qui sert de base à de multiples parfums africains )

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J’ai croqué une olive…

Oui, ce n’est pas un titre qui paraît attirant pour un article. Des olives, on en trouve partout et facilement : c’est un condiment qui assaisonne merveilleusement nombre de plats méditerranéens et qu’on trouve vendu un peu partout dans l’industrie agro-alimentaire ou sur les marchés, où on vend les épices.

Quand je dis que j’ai croqué une olive, je parle d’un fruit que j’ai cueilli directement sur un arbre, un de ces multiples oliviers qu’on trouve dans le quartier très vert de Kifissia qui mène à la ligne de métro qui relie Kifissia au Pirée, dans les environs d’Athènes. C’est un quartier extraordinaire où les trottoirs ne sont pas accessibles aux piétons car les arbres qui les ornent y poussent librement et les défoncent. Et quels arbres ! Arbres fruitiers, orangers, oliviers, des pins et autres espèces méditerranéennes de toute beauté.

C’est en voyant une olive sur son arbre que je décidai de la cueillir pour la déguster brute, autrement que je l’avais toujours fait. Elle était noire, ce qui indique à peu de choses près qu’elle était mûre, ce qui devait assez être le cas puisqu’on était fin octobre, qui en est presque la saison – du moins, si j’ai bien compris ce que j’ai lu…J’ai donc croqué dans cette olive et j’ai goûté un fruit très gras, et désagréable d’amertume.

Amère et grasse, l’olive, telle qu’elle est réellement, j’ai découvert que nous n’en avions pas l’expérience. Et de fait, ce fut le début du constat que nous ne la connaissions pas. J’ai gardé le fruit longtemps pour le goûter et le toucher à nouveau, pour m’imprégner des sensations et informations contenues dans cette rencontre.

L’histoire mythologique d’Athènes est elle-même liée à l’olivier. L’olivier d’Athéna, qu’on trouve sur le Parthénon et dont on retrouve le symbole sur les monnaies historiques de la ville – et encore aujourd’hui sur les pièces grecques d’un euro – avec la chouette, animal symbolisant la déesse, est au coeur de l’histoire fondatrice de la cité.

Poséidon et Athéna se disputaient la cité. On leur demande, pour les départager, de faire un don comme seuls les dieux savent en faire, à la ville qu’ils convoitent; le plus beau cadeau déterminera le vainqueur. Poséidon frappa le sol et fit apparaître une source d’eau salée; Athéna offrit l’olivier. On considéra que l’olivier était plus utile qu’une source d’eau salée et elle gagna la ville dont elle porte toujours le nom : Athina.

Le rapport que nous entretenons à l’olive est donc souvent faussé. Sans exception, sa grande utilité, son miracle tient dans le fait que c’est un fruit dont la graisse s’obtient simplement, par pressage. Entre mes doigts, le fruit glissait de sa propre graisse comme ne le fait jamais aucun fruit et comme on ne le peut voir quand il sort de la saumure, dans son eau salée qui change sa texture et brouille les informations sur sa nature réelle. Bien que noix et noisettes soient également des oléagineux, aucun fruit comme l’olive ne révèle avec une telle évidence et une telle générosité, sa grande richesse en matière grasse.

D’instinct, dans l’alimentation, l’Homme cherche le sucre et le gras pour pouvoir survivre. Cette graisse, ce sucre qui nous font prendre du poids quand ils ne sont pas mobilisés pour des besoins immédiats sont généralement des ressources indirectes, qu’on trouve difficilement dans les fruits et quelques légumes racines pour les sucres, dans les viandes animales pour les graisses. Seuls l’olive et le miel, matières brutes, précieuses et très estimées à leur époque regorgent visiblement, et d’une simple pression de doigt, des matières essentielles à la vie et la survie humaine.

Toute cette matière grasse regorgeant des arbres et qu’il suffit de cueillir pour l’obtenir a dû paraître comme une manne divine et providentielle. Un don de la déesse. L’huile d’olive permettait de cuire les aliments, de les consommer, d’entretenir la peau, de la parfumer – puisque l’huile d’olive était à la base des parfums et cérats – et servait aussi à l’éclairage. Une richesse précieuse dans tous les domaines. Le vainqueur des jeux olympiques recevait une année entière de consommation d’huile d’olive, ce qui représentait une économie considérable. Au gymnase, on entretenait son corps à l’huile d’olive dont on raclait le surplus avec un strigile pour ne pas tacher les vêtements avec la graisse, dans une pratique assez semblable à celle du gommage qui a toujours lieu au hammam – avec le savon noir, plus gras que les autres savons, et les divers massages à l’huile.

Difficile de croire que toute cette culture disparut avec les conquêtes arabes avant de revenir en force avec les Croisades et la création du savon de Marseille aux alentours du XV ème siècle.

Et les olives ?

Elles aussi paraissent évidentes mais ne le sont pas. Comme sur l’arbre quand j’en ai goûté, elles ne sont pas consommables directement et nécessitent des traitements : saumure, eau de trempage à la soude, divers et nombreux bains, et désormais aussi congélation d’un mois entier. Si bien qu’on ignore à l’heure actuelle à quelle époque l’olive fut consommée comme fruit, mais il certain que ce ne fut pas une évidence.

De fait, si on prend le livre de recettes d’Apicius, cuisinier romain de l’empereur Tibère, au I er siècle après J-C, les olives font rarement partie du festin, du moins dans les recettes qui nous restent. Voici ce qu’en dit Renzo Pedrazzini dans sa Gastronomie d’Apicius; cuisiner romain aujourd’hui :

 » L’olive, fruit de conserve par excellence, se révélait être un élément essentiel de la nourriture dans les régions de culture de l’olivier, surtout chez les petites gens. Au I er siècle après J-C, les variétés cultivées dans la seule Italie sont au nombre de vingt-deux, mais l’on importait également des olives d’Afrique, plus goûteuses selon les gourmets. On conservait les olives dans le sel, le vinaigre, l’amurque, c’est-à-dire l’eau de végétation des olives au pressurage; dans le moût cuit; dans l’huile avec les plantes aromatiques telles que le fenouil. Les plus appréciées sont les olives conservées à l’eau de mer ou à la saumure. »

Attention aussi à  l’huile d’olive elle-même : trop chauffée, elle devient toxique. C’est pourquoi ce n’est pas une huile adaptée aux fritures. Il s’avère donc que l’olive, qu’elle soit en fruit ou en huile, est une manne subtile qui a tout à offrir généreusement, mais qu’il faut manipuler délicatement et avec laquelle rien n’est gagné d’avance. Un fruit passionnant !

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La complexe histoire du baume

L’image que nous nous faisons du baume est celle d’un remède externe agissant pour nous soigner, parfois, jusqu’en interne. Nous sont d’ailleurs proposés à la vente nombre de baumes cicatrisants, réconfortants, baumes à lèvres qui promettent de nous soigner tout en nous soulageant. Nous avons tellement le sentiment de comprendre ce terme qu’il ne nous est peut-être pas venu à l’esprit de rechercher sa définition dans le dictionnaire.

A l’idée de baume, cependant, sont associés tout un tas de notions interdépendantes bien qu’indirectement, et qui ont la particularité rare d’englober le matériel et le spirituel, le propre et le figuré. Si le baume évoque le soin, le soulagement, la douceur, il évoque aussi le parfum, notamment dans l’adjectif « balsamique »- évoquant directement l’odeur un peu résineuse – ou le verbe « embaumer », au sens de sentir bon.

C’est d’ailleurs son sens premier. Dans le très bel ouvrage consacré aux végétaux dans les Ecritures Saintes, Dans le jardin de la Bible, on apprend que le mot baume dérive d’un mot hébreu bésem, qui signifie « épice » ou « parfum ».

Mais « embaumer », c’est aussi l’acte de conservation du corps d’un cadavre, dont la technique était courante dans l’Antiquité, et qui se faisait avec des aromates et des résines, autrement dit avec des matières naturelles parfumées qui font que 3000 ou 4000 ans après, quand un archéologue découvre une momie et qu’un scientifique l’examine après lui avoir retiré ses bandelettes, les odeurs caractéristiques d’asphalte et de fénugrec lui parviennent encore.

Mais le baume, en réalité, c’est avant tout une résine, issue d’un commiphora, résineux dont fait partie l’arbre à myrrhe. Considéré comme poussant à l’état sauvage dans le sud de l’Arabie et le Nord-est de l’Afrique, il fut cultivé autrefois en Israël, à Giléad où on essaie à nouveau de l’implanter après sa quasi complète disparition, au moins du commerce ordinaire. Tombé en disgrâce, le baume cesse d’être cultivé en Israël avec la venue du christianisme, quand les Romains en faisaient au contraire une grande consommation.

Pourtant, c’était une résine précieuse, et nombre de recettes d’encens, de parfums ou de remèdes médicinaux anciens en contiennent, ce qui les rend aujourd’hui incomplètes lorsqu’on veut les reconstituer. Plus encore, la quête du baume paraît une sorte de Graal, d’absolu de la résine à ceux qui sont curieux d’un parfum offert par les arbres, surtout d’un qui était particulièrement estimé dans l’Antiquité.

« J’entre dans mon jardin, ma soeur, ô fiancée, je récolte ma myrrhe et mon baume. » Cantique des cantiques.

Théophraste dit de son parfum : « On en recueille environ le contenu d’une coquille par personne et par jour; son parfum, au contraire, est remarquable et si fort qu’une petite quantité suffit à le répandre sur un vaste territoire. Mais le commerce n’apporte pas ici du baume pur : le produit collecté a été dilué plusieurs fois. » Livre IX.

Mais comme souvent dans l’Antiquité, ce qui faisait office d’excellent parfum était aussi – et peut-être avant tout – considéré comme médicament, ce pourquoi nous conservons d’ailleurs, associée à l’idée de baume, celle d’un cicatrisant, d’un médicament soulageant les blessures.

De fait, ce qui sur une momie éloigne les bactéries et permet au corps mort de conserver son intégrité devait aussi fonctionner sur le corps vivant en créant un isolant, un rempart efficace contre les agents pathogènes et la plaie par laquelle ils pourraient facilement entrer. Plus personne aujourd’hui ne mettrait de la résine sur une plaie,sans compter qu’il faudrait certainement l’amener à une température pas déterminable à l’heure actuelle en son absence mais qui serait certainement douloureuse pour la peau par rapport aux moyens modernes qui permettent des soins dans la douceur.

L’idée de baume, pourtant, est restée. Spiritualisée dès la Bible, elle est associée au soulagement de la tristesse ou même du péché : « N’y a-t-il point de baume en Galaad ? N’y a-t-il point de médecin ? Pourquoi la guérison de la fille de mon peuple ne s’opère-t-elle pas ?« , demande Jérémie, inquiet des péchés répétés du peuple d’israël.

Aujourd’hui, sa réputation millénaire, son importance dans l’imaginaire collectif est si grand que si nous recherchons du baume de Giléad ou de Galaad, on pourra nous proposer à la  vente, plutôt que la résine disparue, du bourgeon de peuplier, un morceau de sapin baumier, et une autre sorte de plante de jardin portant ce nom. Déjà devenu très rare à la Renaissance, l’Eglise catholique avait accepté de le remplacer par le baume de Tolu, une résine amérindienne que la découverte du Nouveau Monde avait permis d’utiliser pour recréer l’huile sainte d’onction des Rois dont la recette remontait, évidemment, à l’époque biblique et nécessitait, bien sûr, le précieux ingrédient disparu.

Adresse de la photo d’un baumier d’Arabie par Muhammad Al Shanfari )

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L’importance des matières premières dans les parfums antiques

Redécouvrir les senteurs antiques est une aventure olfactive qui relève de l’apprentissage, de la culture et peut être plus ou moins un défi selon l’endroit du monde où on vient. En Occident, où les parfums sont des sprays alcooliques, c’est très net. Dans les civilisations plus traditionnelles où les parfums sont des résines, des bois et des plantes aromatiques, c’est beaucoup moins le cas.

De fait, quand nous recherchons frénétiquement l’odeur et uniquement l’odeur – ce qu’on peut faire par la chimie des parfums – d’autres dimensions vectrices de sensations et d’informations échappent à notre perception.

Pourtant, les parfums antiques, c’étaient plusieurs produits mettant en jeu odeurs, textures, matières, couleurs, états de sécheresse ou d’humidité différents. Les parfums, variés, pouvaient être en effet :

  • Les couronnes de fleurs fraîches dans les cheveux
  • La fumée odorante des encens
  • Le kyphi, qu’on peut qualifier d’encens mais dont la matière simple, collante et élastique tout à  la fois relève de l’exception – qu’on devine aisément, à la manipuler, qu’elle fut multifonction
  • Les parfums huileux obtenus par enfleurages
  • Le stacté, résine liquide de myrrhe qui paraît avoir disparu aujourd’hui
  • Les diapasmas, poudres de plantes, de résines, constituant des parfums secsimg_7214

Ces matières, issues du vivant, nécessitent chacune un traitement particulier qui va les rendre odorantes dans les bonnes circonstances et optimiser leur conservation.

Ainsi, si certes on ne peut rien attendre d’une couronne en terme de conservation hors l’immédiateté de son parfum frais qui renvoie l’homme à l’idée de sa propre mortalité, toute plante à parfum, en se comportant différemment – en puissance odorante, en texture, en température, en fragilité et au fil du temps – va déterminer parfois son emploi précis dans les parfums, au-delà des questions de goût, de mode et d’accès au produit.

Ainsi, la composition d’un parfum huileux ne se fait pas sans du sel pour conserver l’huile ni sans résine ou roseau pour fixer la senteur, comme les Indiens continuent de faire des Attars sur bois de santal pour fixer le parfum qui doit dominer par la suite.

Mais alors qu’il exista un kyphi sans résine, le kyphi de Pylos, qui tenta peut-être d’adapter l’encens égyptien avec des produits locaux, l’abondance des plantes sèches sans aucune résine vient fragiliser un produit qui, lorsqu’il en contient, devient aussi solide que malléable, ce qui a certainement contribué à son aspect fascinant. Car le kyphi paraît alimentaire, vivant, et pourtant incorruptible et immortel.

C’est le cas, d’une manière générale, de ces matières à parfum qui, séchées, conservant longtemps leur aspect et leur odeur, comme les bois odorants, les plantes aromatiques, les résines, certaines racines et rhizomes dont le parfum est persistant. Pour l’Antiquité, une plante à parfum, c’est d’abord une plante dont le parfum résiste, en puissance et dans le temps. Ses deux critères principaux sont donc qu’elle sente puissamment naturellement et qu’elle se conserve dans le temps.

Et qu’en est-il de la bonne odeur ?

Comme partout dans l’espace et le temps, le goût est relatif, très culturel, et d’abord question d’habitude, d’apprentissage. Odeur sucrée, odeur fleurie, l’odeur idéale de l’Antiquité ? Non ! Odeur réalisable, disponible, trouvable dans la nature, faisant l’objet d’une exploitation, d’un commerce et d’une diffusion en masse en lien avec les qualités de puissance aromatique et de conservation. Tout le reste va aussi dépendre des idées liées au luxe, à l’exotisme, à l’histoire du commerce des matières premières et de leur prestige.

En ce sens, les résines, qui cumulaient différentes qualités, étaient toutes exploitées pour qu’elles dégagent un parfum. Or, dans l’Antiquité, les classifications botaniques n’étaient pas précises et plusieurs plantes et résines pouvaient porter le même nom ou rester imprécises.

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Un point de vue qui peut peut-être déranger le chercheur par le flou que cela génère, mais moins pour l’artisan qui, lorsqu’il a l’expérience de ces matières premières, sait, comme les gens de l’Antiquité, que certaines auront des odeurs et des textures très proches qui vont permettre des remplacements, comme pour les différentes sortes de myrrhe ou ce que les Anciens pouvaient appeler le nard.

Enfin, fibres centrales des plantes et feuilles, résines plus ou moins dures et solubles, plantes plus ou moins odorantes contraignent naturellement à certains gestes qui – s’ils ne sont pas écrits dans les textes anciens qui ne s’embarrassent que de noter les recettes – s’imposent avec la pratique et la connaissance du produit, de la matière brute qui sert à réaliser parfums huileux, kyphis, encens et diapasmas.

Et tout d’un coup, un univers qui ne paraissait qu’olfactif révèle une profondeur insoupçonnée, imposée par les subtilités de la matière à parfum, unique et ainsi porteuse d’un nouveau sens secret, quasi ésotérique.

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Brûle-parfum de l’Antiquité

 

Prises au Musée du Louvre, ces photos de brûle-parfum de l’Antiquité donnent un aperçu des pratiques de fumigation qui avaient cours chez les Anciens.

Les quatre premières concernent l’Egypte antique : la première photo montre un autel classique, la seconde est un encensoir à main dont l’usage et la pièce perdue ont pu être devinés grâce à la représentation du Pharaon Ramsès faisant une offrande parfumée.

Les autres photos sont des brûle-parfum issus du Département des Antiquités Orientales, trouvés en Arabie dans l’Antiquité. On y trouve d’ailleurs représentés les animaux typiques de cette région qu’on y trouve encore et qu’on vénère toujours comme de précieuses aides et pourvoyeurs de vie.

Celui portant des inscriptions est nominatif et célèbre la personne qui a offert le brûle-parfum, un homme devenu gouverneur, à son seigneur. Ces offrandes sont associées à des pratiques propitiatoires et magiques censées éloigner le malheur et attirer la bonne fortune sur le lieu.

 

 

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Le cosmopolitisme du kyphi

Le kyphi, c’est l’encens sacré de l’ancienne Egypte sur base de mélange de résines, aromates, miel, raisins et vin. Associé à la culture de l’Egypte ancienne, on en retrouve la première mention dans le papyrus Ebers, le premier écrit médical de l’histoire datant de 1500 avant J-C environ. A cette époque, il n’est pas encore fait mention du raisin dans une recette qui se présente comme une liste d’ingrédients qui le composent. Plus tard, la recette devient la spécialité de certains temples comme celui d’Edfou où les murs qui ont abrité sa réalisation conservent la recette gravée sur ses murs.

Le kyphi, « le deux fois bon », est un parfum, un médicament et un encens qu’on fait brûler le soir pour la divinité. On la brûle, on en agrémente le vin, on assainit les maisons avec, et bien qu’il ne soit pas alimentaire, il a tout d’une sorte d’aliment éternel et miraculeux, une panacée qui contenait aussi quelques plantes toxiques et certainement doucement hallucinogènes, que peut peut-être avoir évoqué son qualificatif de « deux fois bon ».

Par la suite, les textes grecs évoquent les moeurs égyptiennes, comme celui de Plutarque dans Isis et Osiris, ont pu donner des compositions de kyphis aux ingrédients parfois aujourd’hui impossibles à trouver, toxiques comme dans le cas de la jusquiame, ou encore difficiles à identifier de façon certaine. C’est d’ailleurs ce qui rend le travail de reconstitution plus difficile puisqu’il faut d’abord décider de faire ou non un produit qui ne sera de toutes façons jamais le vrai kyphi de l’Antiquité; puis comment faire pour faire des choix, selon quelles proportions et autres qualités attendues dans un kyphi.

Car faire cet encens si particulier est long et fastidieux, aussi bien dans la recherche, la mise au point de la recette, la réalisation des étapes, le séchage de la pâte et le façonnage en pastilles.

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L’histoire de l’Antiquité toute entière est marquée par la présence, dans sa culture, du kyphi, qui a certainement excédé les frontières de l’Egypte pour incarner un rêve, une sorte d’idéal parcourant les livres de médecine pendant près d’un millénaire, puisqu’on en retrouve encore une recette au XIII ème siècle, dans le manuscrit d’un monastère.

Mais auparavant, Dioscoride, Galien, Rufus d’Ephèse, la médecine araméenne, tous auront donné une recette de kyphi au chapitre de leurs remèdes pour soigner différents maux qu’ils le pensaient capable de soulager.

Il n’est pas jusqu’à une recette de Pylos mentionnant des ingrédients spécifiques au kyphi – auquel ne manque que les résines- qui laissent deviner l’influence du célèbre remède égyptien sur une façon très locale de concevoir le parfum et le remède.

Car dans l’Antiquité, il ne faut pas oublier que les deux sont indissociables : les parfums, les senteurs ont des vertus spécifiques qui vont justifier ou non leur emploi, ce qui pourrait faire partie – avec les facilités d’accès ou non d’un ingrédient dans une localité donnée – des raisons pour lesquelles les recettes de kyphis peuvent changer selon les pays, les régions, et peut-être même les époques.

Mais qu’on y réfléchisse bien, et on verra exactement les mêmes caractéristiques avec des recettes traditionnelles et séculaires qu’on a jugé bon de conserver. Ainsi, combien peut-il exister de recettes de masala, de Ras-el-Hanout, de couscous, et d’autres plats, sauces, mets traditionnels de par le monde ?

Mais de quelle recette médicinale et de parfum à la fois l’histoire peut-elle en dire autant ? Avec le kyphi, elle le peut, par un cosmopolitisme que n’ont ensuite atteint les biens de consommation que bien plus tard.

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