La complexe histoire du baume

L’image que nous nous faisons du baume est celle d’un remède externe agissant pour nous soigner, parfois, jusqu’en interne. Nous sont d’ailleurs proposés à la vente nombre de baumes cicatrisants, réconfortants, baumes à lèvres qui promettent de nous soigner tout en nous soulageant. Nous avons tellement le sentiment de comprendre ce terme qu’il ne nous est peut-être pas venu à l’esprit de rechercher sa définition dans le dictionnaire.

A l’idée de baume, cependant, sont associés tout un tas de notions interdépendantes bien qu’indirectement, et qui ont la particularité rare d’englober le matériel et le spirituel, le propre et le figuré. Si le baume évoque le soin, le soulagement, la douceur, il évoque aussi le parfum, notamment dans l’adjectif « balsamique »- évoquant directement l’odeur un peu résineuse – ou le verbe « embaumer », au sens de sentir bon.

C’est d’ailleurs son sens premier. Dans le très bel ouvrage consacré aux végétaux dans les Ecritures Saintes, Dans le jardin de la Bible, on apprend que le mot baume dérive d’un mot hébreu bésem, qui signifie « épice » ou « parfum ».

Mais « embaumer », c’est aussi l’acte de conservation du corps d’un cadavre, dont la technique était courante dans l’Antiquité, et qui se faisait avec des aromates et des résines, autrement dit avec des matières naturelles parfumées qui font que 3000 ou 4000 ans après, quand un archéologue découvre une momie et qu’un scientifique l’examine après lui avoir retiré ses bandelettes, les odeurs caractéristiques d’asphalte et de fénugrec lui parviennent encore.

Mais le baume, en réalité, c’est avant tout une résine, issue d’un commiphora, résineux dont fait partie l’arbre à myrrhe. Considéré comme poussant à l’état sauvage dans le sud de l’Arabie et le Nord-est de l’Afrique, il fut cultivé autrefois en Israël, à Giléad où on essaie à nouveau de l’implanter après sa quasi complète disparition, au moins du commerce ordinaire. Tombé en disgrâce, le baume cesse d’être cultivé en Israël avec la venue du christianisme, quand les Romains en faisaient au contraire une grande consommation.

Pourtant, c’était une résine précieuse, et nombre de recettes d’encens, de parfums ou de remèdes médicinaux anciens en contiennent, ce qui les rend aujourd’hui incomplètes lorsqu’on veut les reconstituer. Plus encore, la quête du baume paraît une sorte de Graal, d’absolu de la résine à ceux qui sont curieux d’un parfum offert par les arbres, surtout d’un qui était particulièrement estimé dans l’Antiquité.

« J’entre dans mon jardin, ma soeur, ô fiancée, je récolte ma myrrhe et mon baume. » Cantique des cantiques.

Théophraste dit de son parfum : « On en recueille environ le contenu d’une coquille par personne et par jour; son parfum, au contraire, est remarquable et si fort qu’une petite quantité suffit à le répandre sur un vaste territoire. Mais le commerce n’apporte pas ici du baume pur : le produit collecté a été dilué plusieurs fois. » Livre IX.

Mais comme souvent dans l’Antiquité, ce qui faisait office d’excellent parfum était aussi – et peut-être avant tout – considéré comme médicament, ce pourquoi nous conservons d’ailleurs, associée à l’idée de baume, celle d’un cicatrisant, d’un médicament soulageant les blessures.

De fait, ce qui sur une momie éloigne les bactéries et permet au corps mort de conserver son intégrité devait aussi fonctionner sur le corps vivant en créant un isolant, un rempart efficace contre les agents pathogènes et la plaie par laquelle ils pourraient facilement entrer. Plus personne aujourd’hui ne mettrait de la résine sur une plaie,sans compter qu’il faudrait certainement l’amener à une température pas déterminable à l’heure actuelle en son absence mais qui serait certainement douloureuse pour la peau par rapport aux moyens modernes qui permettent des soins dans la douceur.

L’idée de baume, pourtant, est restée. Spiritualisée dès la Bible, elle est associée au soulagement de la tristesse ou même du péché : « N’y a-t-il point de baume en Galaad ? N’y a-t-il point de médecin ? Pourquoi la guérison de la fille de mon peuple ne s’opère-t-elle pas ?« , demande Jérémie, inquiet des péchés répétés du peuple d’israël.

Aujourd’hui, sa réputation millénaire, son importance dans l’imaginaire collectif est si grand que si nous recherchons du baume de Giléad ou de Galaad, on pourra nous proposer à la  vente, plutôt que la résine disparue, du bourgeon de peuplier, un morceau de sapin baumier, et une autre sorte de plante de jardin portant ce nom. Déjà devenu très rare à la Renaissance, l’Eglise catholique avait accepté de le remplacer par le baume de Tolu, une résine amérindienne que la découverte du Nouveau Monde avait permis d’utiliser pour recréer l’huile sainte d’onction des Rois dont la recette remontait, évidemment, à l’époque biblique et nécessitait, bien sûr, le précieux ingrédient disparu.

Adresse de la photo d’un baumier d’Arabie par Muhammad Al Shanfari )

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