Le Labo de Cléopâtre à Fous d’Histoire 2023

Une fois n’est pas coutume, au lieu d’écrire un article pour vous annoncer ma présence à venir à l’événement Fous d’Histoire de novembre 2023, j’ai décidé d’en écrire un sur l’événement à posteriori, vu uniquement de mon petit stand.

Il faut dire que ma boutique de parfums historiques y vit des aventures assez uniques à tous les points de vue. Depuis plusieurs années que le Labo de Cléopâtre est présent au Marché de l’Histoire de Compiègne, je n’ai eu qu’à me féliciter d’avoir fait la démarche de m’y proposer. Un très bon accueil lui a tout de suite été réservé car ma proposition venait combler le manque d’un sens qui faisait défaut au Marché de l’histoire et à son beau concept affiché d’histoire vivante : l’odorat.

Mais pour le Labo de Cléopâtre, cet événement est une sorte de Brigadoon – du film du même nom dans lequel un village écossais apparaît une fois tous les 100 ans. Une fois tous les 6 mois, la boutique du Labo de Cléopâtre enfile son costume – à tous les niveaux – et offre au monde ce qu’il peut de moins en moins montrer sur la boutique Etsy : des parfums et cosmétiques historiques authentiques reproduits à 100% dans la majorité des cas.

En effet, sur Etsy, c’est plus la dimension ludique, ésotérique ou magique qui sont recherchés par les clients – hormis le kyphi qui a l’avantage d’être autant célèbre chez les historiens que chez les égyptophiles . Mes reconstitutions de parfums historiques y sont peu achetées, peut-être même peu remarquées quand elles n’y sont pas tout simplement absentes parce qu’interdites à cause d’un règlement strict.

Or, l’aventure et la boutique du Labo de Cléopâtre ont commencé par la recherche historique, évolué avec et s’en nourrit exclusivement, offrant un catalogue riche de khôl, poudres visage du 14 ème, 18 ème et 20 ème siècle, parfums huileux de l’Antiquité, savons des 18 et 19 ème siècles, pomander oriental de la Renaissance, encens de tous lieux toute époque et parfums poudreux 18-19 ème siècles, entre autres propositions.

Un catalogue vivant avec lequel je viens chaque fois avec mon stand et que ma clientèle et mes suiveurs sont venus chercher, au minimum pour découvrir les parfums d’autrefois, qu’on concevait à la fois autrement, et sans chimie. Car au Marché de l’Histoire, c’est le produit historique qui est attendu, recherché, estimé.

Alors, oui, je peux proposer enfin des parfums de l’Histoire entièrement reconstitués à ma clientèle qui, parfois découvre, mais le plus souvent connaît déjà le projet, a déjà acheté des produits, lu le livre et tenté des recettes qu’il y avait dedans et avec certitude, est en train de lire cet article…

Photo prise et envoyée par Hélène, à ma droite.

Ce novembre, j’ai ainsi vu passer des gens qui sont là depuis le début et qui viennent toujours me voir, voir les nouveautés que je propose, et surtout, les sentir, discuter des matières premières et des techniques historiques. J’y ai vu des clients fidèles qui reviennent, des nouveaux qui découvrent et puis aussi des sensibilités et cultures différentes, des nez bouchés – beaucoup ! – des exaltés du parfum – parmi mes favoris ! – mais surtout des gens en lien olfactif direct avec leur mémoire – tous !-.

On y voit aussi souvent des professionnels venus faire leur marché pour des médiévales ou pour un projet d’association quelconque.

Esculape est parmi nous…

C’est ainsi que depuis quelques années, l’association Scalpel et Matula, – qui s’attache à raconter en costume l’histoire de la médecine, équipée d’instruments de chirurgie historiques et ou fidèlement reconstitués, fréquente et se fournit en produits parfumés au Labo de Cléopâtre. A cela une raison très simple : avant le 18 ème siècle, les recettes de parfums, encens, poudres, khôl, sont toutes issues de la littérature médicale.

Jocelyn, Michel et Cyrielle à leur stand présentant cette année la médecine de l’Antiquité.

Chaque chercheur et historien sait que de toutes les recettes parfumées qui nous restent, aucune n’appartient au domaine de la parfumerie – pourtant déjà bien distingué du domaine médical dès l’Antiquité. Et de fait, on les trouve chez Dioscoride, Galien, Pline, etc. dont il nous reste les textes, et jamais de Criton – qui a écrit en son temps sur les cosmétiques, sa spécialité – ou même de l’ouvrage d’Ovide sur les cosmétiques, dont il ne reste que de très courts fragments.

Cyrielle me présente les instruments de chirurgie de l’Antiquité.

C’est ainsi que les parfums du Labo de Cléopâtre avaient avant tout une fonction médicinale, les odeurs étant considérées autrefois comme aptes à soigner.

– Le Rhodinion – parfum de rose – avait la fonction de soigner, entre autres, le mal de tête, des dents, les ulcères variés, et les démangeaisons de psoriasis. Ce parfum se prenait aussi en lavement.

– L’onguent de Sénégré était surtout utilisé pour les troubles gynécologiques et purifiait les blessures de la tête, enlevait les taches du visage au point d’entrer dans la composition d’un fard. Lui aussi s’utilisait en lavement, mais aussi en cérat.

– L’onguent de lys avait la particularité de faire disparaître les cicatrices, marques de meurtrissures. Pris en breuvage, il faisait maigrir – peut-être d’abord parce que c’était un vomitif !

– Quant au kyphi – particulièrement celui de Dioscoride, dont les descriptions sont issues – il « se mêle dans les antidotes, et se donne à boire à ceux qui sont serrés de la poitrine ». Le kyphi se donnait effectivement à boire dans du vin, dans les usages médicinaux anciens.

Si vous êtes venus sur le stand, vous reconnaissez ces produits que vous avez très certainement sentis. C’est effectivement une part de l’histoire de la médecine que vous avez donc ainsi rencontrée.

Et si sur mon stand, le fait n’est pas mis en évidence car l’accent est mis sur les odeurs et les belles façons anciennes et naturelles de les concevoir, dans les démonstrations et ateliers pédagogiques de Scalpel et Matula, les produits parfumés du Labo de Cléopâtre reprennent la vraie fonction qu’ils ont eue dans l’histoire, lors de manifestations où on raconte comment on les utilisait.

Les outils de la médecine antique.

Fière de ressusciter les médicaments de l’histoire, de leur donner forme, texture, vie, couleur et odeur. Merci à l’équipe de Scalpel et Matula pour leur confiance en la fiabilité historique de mes préparations.

Enfin merci à vous de suivre le blog et l’aventure du Labo tout entière. À bientôt pour de nouvelles découvertes !

Cet article et photos sont la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.

Le kyphi de Damocrates

Lors de diverses recherches sur le kyphi, un bon article en ligne qui lui était consacré prétendait que celui-ci avait été utilisé en médecine jusqu’au 13 ème siècle. Pour moi qui reconstitue des kyphis historiques en essayant d’aller au plus près de la recette originale, pouvoir retrouver la recette de ce kyphi tardif était un rêve. Mais c’était surtout la preuve que ce produit avait fait partie de l’histoire de la médecine et des parfums jusque très tardivement.

De là à penser qu’on l’avait utilisé jusqu’au 18 ème siècle, je ne m’y serais pas risquée. Et pourtant. C’est bien une recette de kyphi, employé comme remède parmi d’autres recettes de la pharmacopée des siècles allant de Louis XIV à Louis XV que je retrouvai un jour dans un manuel de pharmacie ancienne. Une trouvaille qui avait de quoi étonner si on ne se souvenait des pièces de Molière – comme Le médecin malgré lui – qui raillent une médecine d’un siècle où parler latin et citer les Anciens suffisait à faire illusion et imposer le respect. De fait, les livres de pharmacie de cette époque sont pleins de recettes de Galien, d’Avicenne et autres médecins de l’Antiquité et du Moyen-Age.

Dans ces circonstances, il n’est donc finalement plus si étonnant d’y retrouver une recette de kyphi. Celle-ci est mentionnée comme la recette de Damocrates, un médecin de l’Antiquité assez tardive qui a réellement existé mais que je n’avais jamais rencontré lors de mes recherches.

Le kyphi, je le connais bien, je le pratique très régulièrement, et il doit être le produit le plus vendu de ma boutique de par le monde. Pour autant, un kyphi comme celui-là, je n’en avais encore jamais vu ni fait. Effectivement, sur une base d’ingrédients identiques, le kyphi de Damocrates s’est payé le luxe de la nouveauté, m’a surprise et contrainte à l’adaptation pour le réussir.

En effet, ce kyphi se présente comme n’importe quelle autre recette classique : des raisins trempés dans du vin, du miel, des résines et des aromates. Jusque-là, c’est un kyphi traditionnel. Sauf que le poids et le volume d’aromates et résines dépasse largement le mélange fruité, ce qui donne à la pâte une texture tout à fait inattendue. Si bien qu’à ma grande surprise, à la fin du mélange, je me retrouve avec un produit à la texture de pâte sablée plutôt qu’à celle de la purée fluide dont j’avais l’habitude.

Pas habituée à cette texture, je décide malgré tout de la façonner immédiatement, parce que c’est écrit de les façonner tout de suite – contrairement à la pâte de kyphi traditionnelle qui nécessite plusieurs jours de séchage avant que ce soit possible. Alors, oui, ça peut et même doit se façonner immédiatement. Car contrairement à d’habitude aussi, la texture ne colle pas et prend immédiatement la forme qu’on lui donne – et ce avec une plus grande rapidité que d’ordinaire. Sa grande malléabilité me pousse alors à utiliser des moules – ce qui devient possible pour la première fois, avec ce nouveau kyphi.

Au lieu d’un kyphi réalisé en plusieurs semaines voire plusieurs mois, je me retrouve avec un produit moulé en une après-midi, et sur lequel il n’y aura plus de travail à faire ! Les gens de l’Antiquité avaient donc trouvé au fil des siècles, le moyen de moderniser à ce point ce produit que la forme encore usitée chez nous au 18 ème siècle était une sorte de kyphi express, plus riche en ingrédients odorants et supposément actifs que ceux des premières recettes qu’on brûlait à la divinité.

Avec sa formule inchangée sauf dans le nombre d’ingrédients aptes à transformer la texture du produit de façon à être utilisé très rapidement en médecine par les Grecs, le kyphi de Damocrates semble nous raconter l’histoire de l’évolution d’une technique de production d’un médicament qu’on semblait trouver efficace depuis son origine mais qu’on a voulu rendre disponible beaucoup plus rapidement. Du supposé Damocrates, contemporain de Pline, au manuel de pharmacie où a été trouvée la recette – qui laisse supposer que celle-ci était encore un remède qu’on faisait couramment – il y a bien 17 siècles de distance ! Et pourtant ! Bien qu’il semble être resté le seul utilisé en médecine, force est de constater que le kyphi de Damocrates est loin d’être resté un produit de l’Antiquité.

Dans sa version laïcisée, médicalisée et expresse, il semble avoir conservé assez de prestige et de croyance en son efficacité pour traverser les millénaires au-delà d’une fonction d’encens destiné au dieu Râ, au point même d’avoir fait partie de l’histoire de la médecine et de la pharmacie françaises.

Au passage, cela semble aussi nous raconter l’histoire d’un produit qu’on a voulu rendre plus efficace en augmentant sa vitesse de production, lui permettant peut-être d’être aussi durable dans le temps, à la faveur conjuguée de sa réputation de longue date et de sa grande aisance de production et d’utilisation dans un monde qui avait de plus en plus besoin de remèdes.

Vous retrouvez le kyphi de Damocrates sur la boutique du Labo. Contrairement aux autres kyphis, il est maniable et chaque pastille peut se casser très simplement pour l’employer de façon plus durable.

– Le kyphi de Damocrates sur la boutique du Labo

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Cet article et photos sont la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.

Cosmétiques de Cléopâtre et tabous

Etudier les vrais cosmétiques de Cléopâtre est à la fois quelque chose de fascinant et de déconcertant. Fascinant parce qu’on ne peut être qu’impressionné par les millénaires qui nous séparent des quelques recettes conservées du Kosmètikon de Cléopâtre comme de celles laissées par d’autres, médecins ou botanistes antiques, et déconcertant parce que justement, après deux millénaires, le fossé culturel qui nous sépare est devenu si immense que ces recettes nous choquent.

A l’ère où pasteurisation, stérilisation, hygiénisme et orthorexie font loi, les droits des animaux émeuvent plus que le sort des hommes, au point que si le propriétaire d’un animal a laissé celui-ci dans des conditions de traitement déplorable à cause de sa santé mentale, physique ou économique défaillante, les médias vont préférer relever la peine de prison avec sursis que la détresse qui l’a conduit là et l’empathie que cela devrait aussi nous inspirer…

Dans un tel contexte, difficile d’être sensible aux vraies recettes de Cléopâtre qui, loin des roses, lait, jasmin, qui font rêver, emploient des fientes et des têtes de souris, des dents de cheval calcinées, de l’urine, de la poussière, les plus vulgaires plantes potagères et des racines dignes des pires potions de sorcière de notre imaginaire collectif.Ce tabou est le plus évident. Mais il en est d’autres plus subtils.

Ceux qui veulent étudier Cléopâtre « sérieusement » vont évidemment le faire d’un point de vue historique et politique. Or, ceux qui ont écrit sur elle étaient ces historiens et poètes romains qui ont subi ou construit  la politique de dénigrement des plus vulgaires destinée à la discréditer. L’histoire, la politique, du point de vue de la recherche, c’est « sérieux », et même s’il faut pour cela consulter des ouvrages d’auteurs qui n’ont pas eu de scrupules quant à la notion d’objectivité à la base des recherches actuelles.

Mais qu’en est-il des cosmétiques ? Les sujets « cosmétiques », « produits de beauté » sont en eux-mêmes toujours dénigrés en terme de culture. En gros, c’est « un truc de bonne femme ! ». Quelle personne « sérieuse » pourrait s’y intéresser à part pour faire de l’argent, créer une industrie – ce qui en effet fonctionne très bien – ? On pensait déjà comme ça à l’époque de Cléopâtre. Le seul intérêt que les chercheurs « sérieux » pourrait leur trouver relève de l’histoire de la chimie. Mais ce n’est pas tous les jours qu’on trouve des produits aussi performants et impressionnants que le khôl égyptien, car pour le reste, on se retrouve toujours face à des recettes atroces qu’on retrouve dans les grimoires anciens de magie et qui nous viennent en réalité de la médecine antique.

La dignité retrouvée des recettes de Cléopâtre pourrait se trouver ici : dans le domaine de la médecine auquel ces recettes appartenaient puisque c’est dans des ouvrages de médecins antiques qu’ont été conservées les seules recettes de Cléopâtre que nous possédons encore. Sauf que, la médecine galénique, de même que la plupart des livres de médecine de l’Antiquité ont été abandonnés il y a déjà quelques siècles malgré une période de redécouverte induite par les médecins arabes qui les avaient conservés et qui nous ont permis de les redécouvrir à la Renaissance. La majorité des oeuvres de Galien croupit désormais, méconnues, dans leur latin d’origine, constituant pourtant, à elles seules, le tiers de ce qui nous reste de la littérature antique. Les autres ouvrages médicaux traduits datent le plus souvent de la Renaissance, époque où les poisons de l’Antiquité passaient encore pour des remèdes et tuaient gentiment les riches coquettes de l’époque qui espéraient accroître leur beauté et les faveurs des rois.

On comprend alors que la médecine d’aujourd’hui n’ait pas envie de se pencher sur cet héritage encombrant et dangereux s’il était laissé à la portée de tous, et qu’elle préfère laisser Galien, ses prédécesseurs comme Hippocrate, et ses successeurs – ou presque !- comme Oribase, tomber dans l’oubli en même temps que le latin et le grec. Car si la discipline est redevable à ces médecins historiques de l’invention de ses principes éthiques et déontologiques, elle en est beaucoup moins l’héritière des théories et des techniques que de celles des médecins et chimistes des deux derniers siècles. Par ailleurs, ayant globalement délaissé, parfois dans un grand mépris, les plantes pour la chimie, on les voit mal s’intéresser à des recettes de beauté à base de racine de berce, de bettes, de chou ou de jus de mûres; sans compter les plantes toxiques utilisées dans les recettes qui ne vont pas favoriser la confiance…

Bref, des millénaires plus tard, Cléopâtre, la femme et non moins reine, a encore et toujours le même défaut pour nos contemporains : celui d’avoir été une femme qui n’a pas voulu faire oublier son sexe pour être crédible en politique et qui s’est donc intéressée à la beauté, un des seuls domaines qu’il a toujours été permis aux femmes d’investir, même s’il était déjà décrié.

Malheureusement pour certains, la reine d’Egypte était une femme; et négliger cet aspect, c’est encore négliger une donnée essentielle de sa personnalité, de son histoire et de sa culture. Malgré cela, les femmes fières d’être des femmes cherchant les recettes de beauté de Cléopâtre mais ne voulant que les jolies fleurs et du lait repoussent tout autant la reine d’Egypte telle qu’elle était que les historiens qui ne s’intéressent qu’à la femme politique. Cléopâtre, comme tous les autres individus, ne se compartimente pas, et ne se découpe pas selon notre ligne idéologique et l’image qu’on voudrait avoir d’elle…

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