Le khôl, mythe et réalité

Le khôl est un produit de maquillage noir en poudre qui possède un très grand pouvoir de fascination dans l’imaginaire collectif et ce pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il est le premier fard connu de l’histoire et que nous y avons été sensibilisés par les oeuvres d’art égyptiennes représentant toujours des gens qui en portaient. D’autre part, en plus d’être esthétique, ce produit de maquillage était aussi un collyre, une préparation médicale destinée à soigner ou à protéger les yeux dans un environnement qui le nécessitait. Yeux agrandis, embellis et soignés en même temps : il n’en fallait pas plus pour impressionner les autres civilisations qui ne l’avaient pas créé.

Mais le khôl inventé par les Egyptiens impressionne aussi les scientifiques d’aujourd’hui car il présente certainement le premier processus chimique dans un but médicinal : la production synthétique de laurionite, dérivée de la galène en réalité très rare dans la nature et qu’ils obtenaient au bout d’un lent processus d’un mois. Or, la galène, composée de plomb, est évidemment toxique sans ce procédé complexe qui lui permet de « perdre toute sa causticité« , selon les termes de Dioscoride, médecin grec qui en a révélé le procédé. La laurionite ainsi synthétisée devient alors non seulement inoffensive, mais de plus protectrice, apte à activer les défenses immunitaires, d’où son emploi dans le khôl devenu beaucoup plus que du simple maquillage et justifiant ainsi son importance dans les papyrus médicaux traitant de maladies oculaires, comme le célèbre Ebers.

Ce premier khôl, impressionnant par la technologie vieille de plus de 4000 ans et pourtant pointue dont il est issu, est un peu l’arbre qui cache la forêt. Dans son article « le khôl, médicament oculaire de l’Antiquité à nos jours », Michel Faure nous explique en effet que le mot khôl a tout autant désigné le collyre noir, la façon de l’appliquer, toutes sortes de collyres secs aux compositions très différentes, mais aussi la galène, l’antimoine et le charbon. De la même façon, selon qu’il est vendu dans un pays où les contrôles sanitaires sont stricts et que la législation interdit l’emploi de substances toxiques tels que la galène et l’antimoine – ingrédients pourtant traditionnels du célèbre fard – le khôl ne désigne pas le même produit dans ses actifs comme dans son innocuité. Ainsi, au Maghreb, en Asie, et au Moyen-Orient, de nombreux khôls contiennent une proportion de plomb qui, parfois non négligeable, provoque souvent des empoisonnements même chez les enfants en bas âge et est devenu une préoccupation de santé publique parmi les communautés héritières de cette tradition.

Car effectivement, mettre du noir sur ses yeux pour les agrandir et faire plus joli comme nous le faisons en Occident, ou en mettre pour soigner ses yeux et éloigner le mauvais oeil, ce n’est pas le même acte culturel. Dans le premier cas, seule une femme qui veut s’embellir en mettra, et dans le second, ce sera toute la famille qui aura, de plus, la fierté d’obéir à la tradition et de faire un acte sanitaire et rituel. Car il faut le reconnaître: le khôl est un produit aussi historique que culte dont n’importe quelle personne serait fière si elle l’avait dans sa culture, comme on est toujours fier du produit national que le monde entier admire et nous envie. Mais c’est aussi ce qui va inciter à la fraude d’un côté et la naïveté de l’autre…

Le plomb, en effet, provoque le saturnisme et hormis la couleur noire, le khôl des anciens Egyptiens semble ne rien avoir de commun avec le khôl d’aujourd’hui qui ne se fait certainement pas en un mois en respectant toutes les étapes rigoureuses pour créer la laurionite de synthèse. Autrement dit, ce qu’on appelle khôl est soit un cosmétique destiné uniquement au maquillage qui peut être soit inoffensif dans un contexte de législation stricte et de contrôle rigoureux, soit potentiellement dangereux par la présence de plomb dans un contexte moins rigoureux. Ou, au contraire, cela désigne l’ancien produit cosmétique des Egyptiens qui savaient soigner et embellir en transformant un métal toxique en un produit soignant et protecteur mais qui n’existe plus. Les uns et les autres ne doivent pas se confondre car hormis la fonction d’un maquillage noir pour les yeux, ils n’ont rien de commun.

Qu’on y réfléchisse dans un contexte de santé publique : d’un point de vue éthique, qui accepterait de risquer d’empoisonner une personne avec du plomb sous le prétexte que, théoriquement, sous forme de laurionite, il devient protecteur ?

Ainsi, le souvenir du vrai khôl égyptien antique nous met face à un dilemme moral qui nous oblige à rester dans les limites de la spéculation et des théories pour les uns, dans la confiance aveugle et dangereuse pour les autres… IMG_6385.JPG

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( Photo à la Une : Boîtes à khôl des Antiquités égyptiennes du Louvre; boîte à khôl, galène et poudre de khôl contemporains provenant d’Asie et du Moyen-Orient )

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