Les huiles parfumées

Dans l’atelier et à la boutique Etsy du Labo de Cléopâtre, les parfums sous forme liquide sont tous des parfums huileux. Et pour cause : c’étaient les seuls parfums qu’on faisait dans l’Antiquité, et qu’on continue de pratiquer dans les pays musulmans pour respecter l’interdit de l’alcool. A strictement parler, il n’existe pas que des parfums huileux, car on a aussi connaissance d’un parfum d’onction de l’Egypte antique qui se faisait à base de vin, mais je n’en ai rencontré à l’heure actuelle qu’une seule mention et une seule utilisation : celle d’un parfum pour statues de temple.

Nulle part il n’est fait mention de parfum alcoolisé pour autre chose que des statues divines, les hommes et les femmes, devant, eux, se contenter d’huiles parfumées jusqu’à la Renaissance, environ, où la maîtrise de la distillation et le nouvel intérêt pour les parfums orientaux – découverts lors des Croisades – créeront une conjonction favorable pour faire apparaître les premières senteurs extraites des solvants de l’alcool – et ainsi conservées.

De l’Egypte ancienne à la Grèce, en passant par Rome, c’est un monde olfactif maîtrisé par l’Homme qui se construit essentiellement autour de l’huile, au point que l’archéologie a révélé dans les échoppes même des parfumeurs anciens, des pressoirs à l’huile destinés à la confection des parfums. Ces parfums avaient une fonction assez large dans la société, et si les parfumeurs viennent des catégories sociales parfois les plus basses, nombreux sont en revanche, ceux qui s’enrichissent rapidement.

De fait, le parfum huileux est utilisé en médecine – de Théophraste à Dioscoride, recettes de parfums et leurs vertus ont été consignées dans leurs ouvrages -, pour la séduction – comme dans les comédies d’Aristophane en témoignent -, jusqu’aux pratiques funéraires – témoins les nombreux balsamaires qui ornent les musées principalement parce qu’on en trouvait dans les tombes, le parfum ayant fait partie de l’ancienne toilette des morts – et enfin comme signe distinctif de richesse.

Une multitude de fonctions qui explique facilement comment les parfumeurs pouvaient s’enrichir rapidement, et ce d’autant plus que leurs échoppes étaient décrites comme des lieux de rencontres, d’échanges où circulaient nouvelles politiques, ragots et potins, qualité qu’on attribua aux coiffeurs à l’époque moderne.

Les huiles parfumées envahissent donc la société, du gymnase au cabinet du médecin en passant par les gynécées, les thermes, les lupanars, et jusqu’à la dernière demeure. Un comportement toujours entre le profane et le sacré, d’abord par l’utilisation de l’huile d’olive, la pourvoyeuse de vie, de lumière, de médecine, et qui assure la conservation de ce qui y était immergé, corps organiques soumis à la putréfaction ou parfum des divers aromates qu’on emprisonne dans ce « corps » qu’est l’huile, le don sacré d’Athéna.

Ce lien entre l’huile d’olive et la sacralité se retrouve dans le judaïsme, où, pour marquer la visite de Dieu à Béthel – révélée à Jacob par son rêve, celui-ci enduit une pierre d’huile d’olive, localisant ainsi le lieu de la présence divine – Genèse 28. 16-19. Si la pierre ne servit pas de fondation à la construction du temple, elle fut en revanche utilisée pour les cérémonies religieuses et servit donc au culte.

Dans le judaïsme, donc, l’huile d’olive – et par extension, le parfum huileux – paraît bien bien plus liée à la sacralité que dans le monde gréco-romain, comme en témoigne cette recette de parfum d’onction donnée par Dieu lui-même pour les instruments du Temple – dont le parfum devait être réalisé par des parfumeurs pour un usage néanmoins strictement réservé au lieu sacré, sous peine d’exclusion de la société – . Ce parfum servait à sacraliser les objets, à les destiner exclusivement au service religieux, contrairement aux autres objets qui, profanes et ordinaires, n’étaient pas consacrés – littéralement sacrés avec.

Un usage qu’on retrouve dans la façon de sacrer un roi dans le judaïsme, certes, mais aussi un prophète, une messiah – oint, enduit d’onguent en hébreu – et dont l’équivalent en grec se dit Christos, qui a donné le Christ. Le Messie, le roi, le Christ, c’est toujours celui qui a reçu l’huile sacrée qui va faire de lui l’élu.

Une pratique qu’on va retrouver chez les rois de France qu’on oint avec une ampoule d’huile sainte depuis le sacre de Clovis, à Reims, et dont le rituel pourrait avoir pour origine un amalgame entre la croyance en la pratique de l’onction sacralisante de type juif, avec les rituels funéraires romains dans lesquels on enduisait d’huile le corps du défunt.

Si pour vous, il vous semble étrange d’oindre de façon durable avec de l’huile d’olive parfumée, voici les paroles de Gérard Lafond, Abbé de Wisques, rapportées par Magali Aimé dans Le coeur des arbres : »Tout objet qui a reçu une onction d’huile d’olive se laisse pénétrer par elle et ne pourra plus jamais retrouver son état premier. » Ce qui est juste, et qui marqua sans doute la sacralité de manière évidente dans un monde qui n’utilisait pas encore vraiment le savon.

Dans la boutique du Labo, vous trouvez plusieurs parfums huileux, de recettes plus ou moins précises et de différentes fonctions :

 

Le Labo au Marché de l’Histoire de Compiègne 2019

Marché de l’Histoire, Compiègne (60)

13 avril – 14 avril

 

Vous suivez, aimez ce blog et connaissez mon artisanat, mon projet, mes recherches et ma boutique sur Etsy ? Peut-être même avez-vous déjà acheté une de mes senteurs de reconstitution ou une senteur inspirée des connaissances et des croyances des gens de
l’Antiquité.
Si vous passez par Compiègne et ses environs ou êtes tout simplement pas loin de l’Ile-de-France, le week-end du 13 et 14 avril 2019, je vous attends avec une sélection de produits artisanaux, tous conçus avec ma tête et mes mains, dans une aventure qui a commencé ici-même, par mes blogs WordPress.
Je vous y proposerai encens, parfums poudreux de recettes anciennes, parfums huileux faits uniquement à la main, sans huiles essentielles, et selon les recettes et techniques données par Dioscoride et Pline. Je vous y proposerai aussi des kyphis, bien entendu, les encens emblématiques et très sacrés de l’Egypte ancienne  qui étaient spécifiquement brûlés le soir devant les divinités.

Mais il y aura aussi les derniers nés : les fumigations actives de ma composition mais d’origine traditionnelle, qui ont plus un impact sur votre bien-être, et les encens auto-combustibles 100 % naturels, sans charbon, sans huiles essentielles et salpêtre, uniquement de ma composition, mais là aussi, tous conçus par civilisation.

 

 

Ce sera également pour moi l’occasion de vous voir, pour vous d’aborder les produits dans la réalité de leur taille, leurs couleurs, matières, et plus encore leurs odeurs, et le tout par civilisation.
Globalement, la culture antique, surtout gréco-égyptienne est la plus représentée dans ma boutique, mais vous trouverez aussi quelques senteurs indiennes, judeo-chrétiennes, et l’efficacité surprenante et les parfums de quelques plantes ancestrales vikings et amérindiennes.
Alors, je vous attends ici, avec beaucoup de plaisir, le week-end du 13 au 14 avril 2019 :
LE TIGRE
2 RUE JEAN MERMOZ
MARGNY-LÈS-COMPIÈGNE
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Cet article et photos sont la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.

L’importance des matières premières dans les parfums antiques

Redécouvrir les senteurs antiques est une aventure olfactive qui relève de l’apprentissage, de la culture et peut être plus ou moins un défi selon l’endroit du monde où on vient. En Occident, où les parfums sont des sprays alcooliques, c’est très net. Dans les civilisations plus traditionnelles où les parfums sont des résines, des bois et des plantes aromatiques, c’est beaucoup moins le cas.

De fait, quand nous recherchons frénétiquement l’odeur et uniquement l’odeur – ce qu’on peut faire par la chimie des parfums – d’autres dimensions vectrices de sensations et d’informations échappent à notre perception.

Pourtant, les parfums antiques, c’étaient plusieurs produits mettant en jeu odeurs, textures, matières, couleurs, états de sécheresse ou d’humidité différents. Les parfums, variés, pouvaient être en effet :

  • Les couronnes de fleurs fraîches dans les cheveux
  • La fumée odorante des encens
  • Le kyphi, qu’on peut qualifier d’encens mais dont la matière simple, collante et élastique tout à  la fois relève de l’exception – qu’on devine aisément, à la manipuler, qu’elle fut multifonction
  • Les parfums huileux obtenus par enfleurages
  • Le stacté, résine liquide de myrrhe qui paraît avoir disparu aujourd’hui
  • Les diapasmas, poudres de plantes, de résines, constituant des parfums secsimg_7214

Ces matières, issues du vivant, nécessitent chacune un traitement particulier qui va les rendre odorantes dans les bonnes circonstances et optimiser leur conservation.

Ainsi, si certes on ne peut rien attendre d’une couronne en terme de conservation hors l’immédiateté de son parfum frais qui renvoie l’homme à l’idée de sa propre mortalité, toute plante à parfum, en se comportant différemment – en puissance odorante, en texture, en température, en fragilité et au fil du temps – va déterminer parfois son emploi précis dans les parfums, au-delà des questions de goût, de mode et d’accès au produit.

Ainsi, la composition d’un parfum huileux ne se fait pas sans du sel pour conserver l’huile ni sans résine ou roseau pour fixer la senteur, comme les Indiens continuent de faire des Attars sur bois de santal pour fixer le parfum qui doit dominer par la suite.

Mais alors qu’il exista un kyphi sans résine, le kyphi de Pylos, qui tenta peut-être d’adapter l’encens égyptien avec des produits locaux, l’abondance des plantes sèches sans aucune résine vient fragiliser un produit qui, lorsqu’il en contient, devient aussi solide que malléable, ce qui a certainement contribué à son aspect fascinant. Car le kyphi paraît alimentaire, vivant, et pourtant incorruptible et immortel.

C’est le cas, d’une manière générale, de ces matières à parfum qui, séchées, conservant longtemps leur aspect et leur odeur, comme les bois odorants, les plantes aromatiques, les résines, certaines racines et rhizomes dont le parfum est persistant. Pour l’Antiquité, une plante à parfum, c’est d’abord une plante dont le parfum résiste, en puissance et dans le temps. Ses deux critères principaux sont donc qu’elle sente puissamment naturellement et qu’elle se conserve dans le temps.

Et qu’en est-il de la bonne odeur ?

Comme partout dans l’espace et le temps, le goût est relatif, très culturel, et d’abord question d’habitude, d’apprentissage. Odeur sucrée, odeur fleurie, l’odeur idéale de l’Antiquité ? Non ! Odeur réalisable, disponible, trouvable dans la nature, faisant l’objet d’une exploitation, d’un commerce et d’une diffusion en masse en lien avec les qualités de puissance aromatique et de conservation. Tout le reste va aussi dépendre des idées liées au luxe, à l’exotisme, à l’histoire du commerce des matières premières et de leur prestige.

En ce sens, les résines, qui cumulaient différentes qualités, étaient toutes exploitées pour qu’elles dégagent un parfum. Or, dans l’Antiquité, les classifications botaniques n’étaient pas précises et plusieurs plantes et résines pouvaient porter le même nom ou rester imprécises.

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Un point de vue qui peut peut-être déranger le chercheur par le flou que cela génère, mais moins pour l’artisan qui, lorsqu’il a l’expérience de ces matières premières, sait, comme les gens de l’Antiquité, que certaines auront des odeurs et des textures très proches qui vont permettre des remplacements, comme pour les différentes sortes de myrrhe ou ce que les Anciens pouvaient appeler le nard.

Enfin, fibres centrales des plantes et feuilles, résines plus ou moins dures et solubles, plantes plus ou moins odorantes contraignent naturellement à certains gestes qui – s’ils ne sont pas écrits dans les textes anciens qui ne s’embarrassent que de noter les recettes – s’imposent avec la pratique et la connaissance du produit, de la matière brute qui sert à réaliser parfums huileux, kyphis, encens et diapasmas.

Et tout d’un coup, un univers qui ne paraissait qu’olfactif révèle une profondeur insoupçonnée, imposée par les subtilités de la matière à parfum, unique et ainsi porteuse d’un nouveau sens secret, quasi ésotérique.

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