Cléopâtre et son célèbre bain au lait d’ânesse

Tout le monde sait que Cléopâtre – pièce de droite – se faisait des bains au lait d’ânesse : on le disait quand j’étais enfant, et on le disait déjà du temps de mes parents. Et pour être honnête, ayant été passionnée assez tôt par Cléopâtre et pas toujours hostile au marketing, cette information me fascinait. J’ai acheté, moi aussi, comme toute fan de Cléopâtre, la boîte de lait de bain en poudre pour m’offrir ce luxe et du rêve.

Aujourd’hui, cette information est répandue partout : sur internet, dans des livres que j’ai moi-même achetés et cette information profite à des enseignes qui développent des produits à base de lait grâce à cette légende. Oui, une légende.

Car en m’intéressant à Cléopâtre, et plus précisément à ses cosmétiques, je me suis aperçue qu’aucun historien n’a mentionné ce fait qui aurait pu ajouter aux reproches qu’on lui faisait et qui étaient si nombreux et si graves parfois qu’on en a forcément inventé pour nuire à sa réputation. En revanche, les historiens romains connaissaient cette pratique mais l’attribuaient à une autre impératrice, romaine, cette fois, la belle et coquette Popée, femme de Néron, qu’on voit représentée sur la pièce de gauche.

Dion Cassius, en bon historien romain, la mentionne dans son Histoire romaine pour critiquer son luxe : »Cette Sabine vivait dans un luxe tel que les mules qui la conduisaient avaient des harnais d’or, et que chaque jour, on trayait 500 ânesses qui avaient mis bas récemment, afin qu’elle pût se baigner dans leur lait, car elle avait un soin extrême de sa beauté et de l’éclat de sa personne. » Livre 62. 28.

Pline confirme ce fait, mais en tant que naturaliste, il s’intéresse beaucoup moins au luxe qu’aux vertus de cette pratique pour la peau : »On croit que le lait confère une certaine blancheur à la peau des femmes. En tous cas, Popée, épouse de Domitius Néron emmenait partout avec elle cinq cents ânesses ayant mis bas, et elle plongeait son corps entier dans la baignoire remplie de ce lait, croyant qu’en outre, cela retendrait sa peau.« Livre X. XCVI. 238. Mais là où le texte de Pline est capital, c’est qu’il affirme que c’est Popée, impératrice entre 63 et 65, qui en institue la pratique, et non Cléopâtre, reine d’Egypte qui mourut au siècle la précédant : »On pense effacer les rides du visage et rendre la peau plus douce et blanche avec du lait d’ânesse, et il est connu que certaines femmes s’en font des fomentations sur les joues 7 fois par jour en respectant bien ce nombre. C’est Popée, épouse de Néron, qui a institué cet usage, prenant même des bains de lait et se faisant accompagner pour cette raison de troupeaux d’ânesses.« XXVIII.L.183.

En faisant des recherches, on s’aperçoit que les auteurs anciens parlant du bain au lait d’ânesse ne font pas la confusion et l’associent bien à Popée. Ainsi, dans son étude sur Bretonnoyau, le Dr Wiant cite les vers de ce médecin qui écrivait aussi de la poésie au XVI ème siècle :

« La venaison d’un loup, la tresse ( traîte) d’une ânesse

Rajeunissent le teinct aussi bien que la gresse,

Comme jadis Popée aux dames enseignait,

Alors que toute nue en ce lait se baignait. »

De même, en 1853, dans son Histoire de la prostitution, Pierre Dufour associe bien la femme de Néron à l’utilisation des bains au lait d’ânesse.

En 1858, pourtant, dans une notice destinée à valoriser l’utilisation des bains de petit-lait, Adrien Baraniecki prête à Cléopâtre et Aspasie, sans aucune référence à l’appui, l’utilisation des bains de lait d’ânesse. Erreur ? Arrangements avec la vérité, on va dire. Baraniecki est là pour convaincre un auditoire de médecins des bienfaits du bain de lait. Cléopâtre et Aspasie partagent toutes deux des avantages pour une assemblée de médecins : elles étaient savantes, intelligentes, ont eu un rôle politique et sont connues pour avoir écrit des livres de cosmétiques et de médecine. Popée, n’ayant eu aucune de ces qualités, a disparu de l’argumentaire. Pourtant, ce petit texte confidentiel n’a certainement pas pu avoir un impact sur le grand public.

J’ai longtemps cru que l’association des bains de lait d’ânesse et de Cléopâtre plutôt que Popée était due à un savant calcul visant à vendre des produits en préférant une reine plus populaire et valorisée comme l’a fait Baraniecki. Et puis, j’ai découvert un roman de moeurs de 1864 d’Arsène Houssaye, mademoiselle Cléopâtre, où l’héroïne, courtisane parisienne, prend un bain nue devant son ancien amant. Ce motif du bain de Cléopâtre est en réalité très ancien. Lors de leur passage à Alexandrie on faisait visiter aux savants et envoyés diplomatiques en route vers Jérusalem des tombeaux vides de la nécropole qu’on présentait comme les bains de Cléopâtre. Je suis alors rappelé du bain de Cléopâtre dans le film avec Liz Taylor et Richard Burton, celui dans Astérix, celui de l’actrice maquillée en Egyptienne qui devait faire le succès du savon au nom de la reine mythique. Et si le grand public avait tout simplement mélangé les deux – à la faveur d’une attraction touristique commune à Alexandrie mais fausse – la Cléopâtre du roman, parisienne et courtisane, et la Cléopâtre historique, égyptienne, et que les historiens qualifiaient aussi de courtisane ?

Ce ne serait pas la première fois, témoin cette règle de comportement dans les auberges du XVII ème siècle mentionnant que si on voulait y dormir, il fallait y prendre aussi son dîner, devenu – certainement à cause d’Alexandre Dumas qui le met en scène d’une manière comique dans Les trois mousquetaires – un proverbe à valeur de vérité : »Qui dort dîne. » laissant croire aujourd’hui encore à beaucoup qu’en dormant, ils n’éprouveront pas la faim et n’auront pas besoin de manger.

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