Le mois dernier, j’ai tenté une recette qui m’attirait depuis quelques temps, trouvée dans un ouvrage destiné aux parfumeurs et daté du 18 ème siècle.
C’est une pommade pour les lèvres légèrement teintée et comme toujours au 18 ème siècle, entièrement naturelle. Un siècle plus tard, les choses auront bien changé et la chimie s’invitera dans les parfums et cosmétiques.
Pour autant, en 1920, encore, quand apparaîtra le premier rouge à lèvres, il aura pour base les modestes ingrédients de cette recette : un cérat pour base, du raisin et de l’orcanette pour la couleur. Et c’est tout ? Et bien oui.
Le cérat chauffe tandis que les grains de raisin attendent l’heure de leur entrée en scène.Les voilà réunis. Je les abats au presse purée.Cuisson. Je retire la chair et les pépins.J’ajoute l’orcanette. Après plusieurs tâtonnements, je décide de faire ce que je crois juste car l’ouvrage ne mentionne comment parvenir à une homogénéité.Je remets le cérat que j’avais retiré du mélange. J’unis l’un et l’autre : j’ai effectivement une pommade rosée. Je mets en pots de format baume à lèvres contemporain. J’ignore comment étaient les contenants au 18 ème siècle.
Vous voulez sans doute savoir le reste : ça hydrate bien, ça a la force colorante d’un gloss discret, ça sent bon et le raisin laisse un délicieux petit goût sucré sur les lèvres. L’ouvrage précise que ce produit se conserve 2 ans !
Bien sûr, j’imagine qu’en fonction des variétés de raisin noir, il est possible d’avoir des couleurs plus ou moins intenses, sachant que celles-ci devaient être moins variées qu’aujourd’hui. En les identifiant, on aurait la palette des rouges possibles au 18 ème siècle, du moins pour cette pommade.
Enfin, c’est évidemment un produit pour les aristocrates, et forcément un produit saisonnier qu’on ne pouvait faire qu’à l’époque de la récolte du raisin. Il en était donc un peu du rouge à lèvres pour les dames comme du vin pour les messieurs.
Le Labo de Cléopâtre est, depuis ses débuts, un projet de reconstitution autour des parfums et cosmétiques de l’Antiquité, qui a commencé avec Cléopâtre. Mais comme dans tout domaine, il n’est pas d’objet d’étude qui ne soit, de près ou de loin, relié à son hérédité. La durée d’un cosmétique dans le temps va donc souvent du cosmétique historique au cosmétique traditionnel s’il est adopté durablement. Le cosmétique industriel, de conception moderne, a la même origine mais s’éloigne de la tradition et des croyances pour atteindre des buts plus directs.
Dans mon livre Fabriquez vos soins naturels de l’Antiquité, vous avez l’exemple type de ce qu’est un cosmétique historique, et ses liens avec les cosmétiques traditionnels : Il est aussi assez courant de trouver des cosmétiques de l’époque gréco-romaine – devenus historiques car plus employés dans notre société – toujours vivaces dans une autre société qui y accorde de l’importance et continue de les employer.
L’adage : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » se vérifie donc aussi beaucoup en matière de sciences, techniques et savoir-faire. Ainsi, bien que la société égyptienne ait abandonné la culture de ses anciens pharaons depuis l’Antiquité, la médecine populaire conserve et pratique toujours des recettes médicales inchangées depuis l’époque des pyramides. Un savoir qui a paru bon, utile, auquel on a crû ne disparaît jamais totalement : soit il est conservé intégralement, soit il est transformé, soit une autre société le conserve.
Sachant cela, je fais donc la distinction entre cosmétique historique, traditionnel et industriel.
– Le cosmétique historique a une recette datée – mème si elle peut se prolonger sur des millénaires durant – après laquelle il n’est plus du tout pratiqué. Bien que ce ne soit pas un cosmétique, je pense ici au kyphi, qui commence son office dans l’Egypte antique et dont on retrouve encore la recette dans les remèdes pharmaceutiques du 17-18 ème siècle.
– Le cosmétique traditionnel, toujours vivant, remonte à des temps ancestraux et continue d’être pratiqué par une ou plusieurs sociétés. Il a les caractéristiques d’un produit traditionnel : il emploie des matières premières et locales, spécifiques d’une société qui en connaît les vertus depuis des siècles. Il associe des connaissances chimiques anciennes à des savoir-faire imprégnés de culture.
– Le cosmétique industriel, conçu, testé et développé selon les dernières connaissances technologiques, vise un résultat précis à un coût fixé par la gamme de produits dans laquelle il s’inscrit et qui va déterminer le choix des matières premières et des techniques. C’est le plus rentable quand on se fixe un objectif esthétique, mais c’est le moins connecté à du culturel.
Dans la boutique du Labo de Cléopâtre, je ne vais évidemment proposer que les 2 premiers types de cosmétiques puisqu’ils ont tous 2 un lien avec la reconstitution : historiques, ils appartiennent au passé, traditionnels, ils sont toujours employés quelque part sur la Terre, et selon des critères et valeurs culturels qui nous sont étrangers mais dont les racines symboliques sont fortes.
En tant que projet de reconstitution des parfums et cosmétiques anciens, ce ne sont donc pas des produits faciles d’accès qui vous sont proposés dans le boutique du Labo, dès lors qu’il y aura écrit « historique » ou « traditionnel » – même s’il n’est évidemment pas question de vous proposer des produits toxiques comme les anciens fards au plomb qui ont sévi de l’Antiquité jusqu’au 18 ème siècle et plus !
Bien évidemment, c’est moi qui réalise les recettes, les conditionne et leur donne leur orientation dans une offre produit pas du tout calibrée pour l’industrie et l’usage cosmétique habituel. Pour autant, les recettes, issues de documents, sont suivies autant que possible à la lettre et ce d’autant plus que le produit est diffusé dans un but de connaissances et de transmission de certains savoir.
Il y aurait ainsi plein de choses à dire et découvrir en comparant un noir aux yeux du commerce avec un khôl traditionnel algérien ou bien encore avec un kajal indien noir profond; un parfum au solvant alcoolisé à 99% de molécules chimiques et un parfum huileux à 100% enfleurage. C’est une question de matières premières, de techniques, de savoir-faire et de culture qui se voit au résultat, mais à condition d’y être attentif, d’être connaisseur ou passionné. Autant dire que ce n’est pas forcément accessible au premier venu, et encore moins à quelqu’un qui cherche juste à se maquiller ou trouver un soin quelconque !
En somme, à quoi ressemble un cosmétique traditionnel ? A un plat du terroir, une recette qu’on connaît depuis des siècles, voire, des millénaires, qui ne se serait pas démodée et que toute une société approuve.
Et à quoi ressemble un cosmétique historique ? Un plat du terroir que l’usage n’a pas conservé car on a trouvé moins cher, plus efficace ou que les ingrédients dont il est composé ne se trouvent plus facilement et qu’il a fallu y renoncer.
En résumé, vous voulez acheter un cosmétique ? De bonnes boutiques agrées vous en proposent un peu partout et à tous les prix.
Vous voulez découvrir l’histoire des parfums et cosmétiques ? Bienvenue au Labo de Cléopâtre .
Cet article et ces photos sont la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.
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Si vous voulez en apprendre plus, sachez que mon projet s’est aussi incarné dans un livre qui sortira ce 27 mai 2021 chez Améthyste, du groupe Alliance Magique. Et déjà en prévente à partir de ce jeudi, avec un marque-page offert pour les 50 premières commandes.
Qu’est-ce que vous allez retrouver dans ce livre ? Exclusivement des recettes de beauté datant authentiquement de l’Antiquité, que j’ai cherchées dans les livres anciens pendant des années. Ces recettes concernent toutes ce qu’on peut appeler la médecine ancienne de notre civilisation.
Oui, il y a dedans des recettes de Cléopâtre, la reine d’Egypte ayant aussi été une référence médicale au point que les médecins compilateurs ont conservé quelques-uns de ces écrits en les copiant et citant leur origine.
Mais il y sera surtout question de beauté, hygiène, soins et parfums. Vous vous demandez comment les Anciens nettoyaient leur visage, leurs cheveux, leurs dents, comment ils teignaient leurs cheveux ou se maquillaient et comme ils prenaient soin de leur peau ?
Je vous le raconte dans ce livre en vous , de manière très facile et accessible, vous donnant la possibilité de faire de même. C’est donc à un voyage dans le temps et en beauté que je vous invite avec cet ouvrage. Une dimension que vous connaissez bien si vous suivez le blog du Labo de Cléopâtre depuis longtemps.
Un voyage où ne sont invitées que des matières premières, principalement végétales et quelquefois dérivées d’animaux mais dont vous avez l’habitude comme la cire ou le miel.
Ce sera aussi l’occasion de comparer avec les autres cultures traditionnelles des soins de beauté : monde indien et arabo-musulman.
Alors, je vous embarque ?
Les photos et illustrations sont toutes de Céline Morange et de son équipe au sein d’Améthyste, du groupe Alliance Magique.
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De quelque époque qu’ils puissent être, les objets de la beauté sont nombreux. Certains sont constants, malgré des progrès techniques ayant permis de les améliorer comme les miroirs qu’on reconnaît bien quand on les voit exposés dans les musées même si 4 millénaires nous séparent. Il en est de même pour les peignes, les épingles à cheveux, pinces à épiler et rasoirs.
D’autres, plus mystérieux, n’ont pas révélé tous leurs secrets. C’est le cas des cuillères à fard qu’on retrouve souvent dans les collections égyptiennes de l’Antiquité et qu’on suppose avoir servi pour les recettes d’onguent ou de khôl. Néanmoins, on n’en a aucune certitude car ces élégants petits objets, souvent en bois, n’ont rien révélé de ce qu’ils contenaient il y a de ça plus de 3000 ans. Pour semer encore plus le trouble, certaines de ces cuillères possèdent un couvercle coulissant évoquant en même temps une boîte, loin finalement de la cuillère telle que nous la connaissons
.
Par ailleurs, ces beaux objets retrouvés dans des tombes et exposés dans plusieurs musées du monde présentent une grande variété de motifs, parfois inattendus, allant d’hommes ventrus, fleurs de lotus, servantes, roseaux, mais aussi d’animaux, et particulièrement des animaux entravés dont les pattes peuvent être unies et ligotées. Ce motif, aussi récurrent qu’incompréhensible de nos jours, semble avoir une portée symbolique, comme si, finalement, l’acte de se farder consistait à museler cette partie animale de soi-même pour révéler son caractère humain, celui qui le rapproche de la divinité.
En effet, en Egypte ancienne, se maquiller était à la fois un acte médical comme le révèlent les papyrus médicaux et les analyses des principes actifs du khôl, et à la fois un acte mythologique, Horus ayant réparé son oeil arraché et restauré l’équilibre universel par cet acte.
Mais, bien entendu, sans certitude sur leur fonction, mieux assurée lors de la présence d’une spatule, cette hypothèse n’est que réflexion personnelle et pure spéculation, comme l’est peut-être celle de faire figurer ces mystérieux objets au nombre des accessoires de mise en beauté.
Mais connaissant la place que prenait la beauté et les soins dans l’Egypte antique et la façon dont on réalisait les recettes, et partant du principe que certaines cuillères portent le nom de prestigieuses reines d’Egypte, il y a fort à parier que leur fonction a été correctement attribuée.
( Photos : collection de cuillères à fard du Musée du Louvre.)
Cet article et ces photos sont la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.
Le parfum était quelque chose de très important dans l’Antiquité, à vrai dire aussi important que de nos jours, voire plus. Il servait en effet autant à la séduction qu’il pouvait entrer dans les remèdes puisque beaucoup d’espèces végétales étaient considérées comme ayant des vertus médicinales, à plus fortes raisons si elles étaient odorantes.
« Le parfum à la rose convient au banquet, comme celui à la myrrhe ou au coing. Ce dernier est bon pour l’estomac et pour ceux qui souffrent de léthargie. »
Athénée. Les Deipnosophistes.
Et parce que la médecine de l’époque avait peu de solutions contre les maladies, la simple hygiène faisait partie de la médecine tandis que pour nous, elle n’en est que l’introduction, le préalable obligatoire aux soins, le minimum requis pour espérer une bonne santé. Cette hygiène pouvait être si minutieuse que l’utilisation d’un parfum pour chaque partie du corps était pratiquée, comme le révèlent les textes.
Dans l’Antiquité comme aujourd’hui, le parfum était un des accessoires importants de la séduction, un moyen de marquer une présence ou un instant de manière agréable de façon à frapper un esprit. Ce sont les senteurs de la chambre d’Hélène attendant Pâris qu’Aphrodite a sauvé du champ de batailles et ramené jusqu’à elle lors de la Guerre de Troie, c’est le parfum des fleurs égayant la noce et le banquet. C’est aussi, bien entendu, le parfum des courtisanes qui se distinguent par leur surcroît d’artifices pour séduire et changer les hommes qui les regardent en des hommes qui les désirent, puis qui les payent. Et comme aujourd’hui, mis avant une sortie, c’est l’indice d’un rendez-vous amoureux.Dans l’assemblée des femmes d’Aristophane, Bléphyros demande à sa femme d’où elle revient, la soupçonnant d’adultère. Elle lui propose de vérifier si sa tête sent le parfum.
« Bléphyros : Et quoi ? Une femme ne se fait-elle pas baiser sans parfum ?
Proxagora : Non certes, mon pauvre, pas moi. »
Mais le parfum, c’était avant tout le privilège des élites, et notamment du roi, l’échelle de prix de ces parfums restreignant l’usage de certains produits aux plus hautes classes sociales. C’était le cas des produits exotiques à la base du parfum, qu’on faisait venir d’Arabie ou d’Inde et qui atteignaient des prix exorbitants créant alors une odeur caractéristique royale. Ainsi, d’après Polybe, Antiochos IV faisait amener ses vases de parfums les plus précieux dans des bains publics auxquels, malgré son statut, il aimait à se rendre. « Vous êtes bien chanceux, vous les rois, d’utiliser de tels parfums et de sentir aussi bon.« , lui dit un homme. Le lendemain, le roi revint et fit verser sur la tête de cet homme « un grand vase du plus précieux parfum appelé stakté« , c’est-à-dire de la myrrhe pure, comme le faisait Hatchepsout, grande pharaone qui, femme, régna seule sur l’Egypte et dont c’était le parfum attitré un millénaire auparavant.
Avec l’évocation des élites, on arrive aux premiers usages du parfum, celui d’honorer les dieux que dans l’Antiquité on distinguait d’ailleurs eux-mêmes non par la vision – puisqu’ils ne peuvent se manifester sous leur vraie forme au risque de nous tuer – mais par la bonne odeur émanant du personnage qui leur servait de couverture ou du lieu qu’ils avaient occupé. C’est une croyance qui a été conservée dans le christianisme puisque la bonne odeur est souvent évoquée dans le cas d’une visite ou de la présence d’un saint ou de Jésus lui-même.
Autrefois comme aujourd’hui, on brûlait les encens pour faire monter le parfum jusqu’aux divinités, habitant des hautes sphères pour qui c’était une offrande au même titre que le fumée s’échappant de la viande sacrificielle dont les hommes mangeaient la chair et les dieux la fumée.
« C’est toi (Liber, nom romain de Dionysos), selon la tradition, qui après la soumission du Gange et de tout l’Orient, as préservé les prémices au grand Jupiter : le premier, tu as offert de la cannelle et de l’encens prélevés sur le butin ainsi que les chairs rôties du boeuf qui a été mené à ton triomphe. »
Ovide. Les Fastes. III.
A ce titre, c’était aussi une manière d’honorer ses invités puisque les parfums égayaient la plupart des fêtes, soit qu’on voulut démontrer son luxe, sa manière raffinée de vivre, soit qu’on obéît à cette vieille coutume conservée dans les pays méditerranéens et orientaux de recevoir ses invités comme s’ils étaient les dieux eux-mêmes.
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