Ma Kibell, l’étonnant Lush breton

En allant sur la côte normande cet été, j’ai été surprise par une enseigne complètement inconnue de cosmétiques aussi nombreux que chez Lush. C’est français, – bon, d’accord, les Bretons ne diraient pas ça – l’enseigne annonce des produits responsables et durables en toutes lettres et ça ne s’appelle pas Aroma Zone mais Ma Kibell.

Les boutiques n’essaiment pas partout, mais d’abord en Bretagne, où l’entreprise est née, et commencent à envahir quelques villes de la Normandie, où j’ai rencontré par hasard une boutique. Évidemment, la curiosité m’a démangée !

Et pour répondre tout de suite à la question qui nous préoccupe en premier lieu, Ma Kibell signifie baignoire, en Breton.

D’après leur site, l’histoire commence en 2019 avec 2 professeurs en cosmétique à l’université catholique de l’Ouest de Guigamp : ils créent une entreprise à leur domicile en fabriquant d’abord des savons et sels de bain.

En changeant de mains en 2014, de nouveaux professeurs, Séverine Pallu et Pascal Morcel, offrent au projet un atelier de fabrication à St Donan. En 2015, de premiers magasins ouvrent à St Brieuc, qui donneront d’autant plus de petits que la gamme va s’étendre, mais toujours en Bretagne.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que je ne les découvre que 10 ans plus tard ; si vous n’allez pas sur la côte ouest, vous ne rencontrez pas ces enseignes.

Les savons.

La boutique est vraiment riche : il y a un peu de tout pour le corps, le visage, l’entretien de la maison et même le soin des animaux. Des savons, shampooings, serviettes, déodorants, produits pour la vaisselle, bougies parfumées, trousses de toilette, brosses, pinces à cheveux, etc..De quoi acheter en un même endroit plein d’articles de la maison et la toilette, comme dans les drogueries d’autrefois. Et là, pas d’ambiance guindée : on se sent vite à l’aise.

Le vétiver pour une odeur délicate, et surtout naturelle.

L’identité de Ma Kibell reste unique : des produits, souvent locaux, à base d’algues, de fruits de la région, de lait ribot, des emballages et accessoires souvent végétaux, durables et originaux : des bois, des racines, des pots de yaourts en verre, des contenants recyclés ou recyclables. L’offre est vraiment très étendue : il y en a vraiment pour tout le monde, de façon incontestable.

Shampoing en boîte de fromage.

Ayant conscience que ce qui rend une entreprise viable ne correspond pas forcément aux attentes du client idéaliste – et avec des attentes personnelles dont les limites sont ses rêves et ses intolérances individuelles, à certains matériaux utilisés, par exemple – je me garderai de critiquer certains choix qui sont peut-être obligatoires quand on veut pouvoir être rentable. Les clients, c’est une entité culturellement forgée par une histoire d’habitudes et de produits attendus qui vont décider de leur achat ou non, et réussir en entreprise, c’est en avoir conscience.

Nettoyer le visage au cocon de soie ! Une idée incroyable !

Je vais donc m’en tenir à ce qui me plaît, que je retiens et qui fait que j’ai été contente de découvrir l’enseigne :

  • La transparence n’est pas un vain mot : la composition est notée sur l’écriteau même qui vous présente le produit, et jusque sur leur site, la composition est proposée dans le latin scientifique du formulateur mais aussi dans le français du client. Ça a l’air d’être un détail, mais en réalité, c’est la seule vraie façon de rendre le client pleinement libre de ses choix en toute conscience. Nous sommes nombreux à être allergiques : pouvoir se diriger rapidement vers ce qui nous convient en toute sécurité est primordial.
  • Des ingrédients connus et courants en cosmétique « maison », ce qui est plus que rassurant, car on a forcément utilisé ces produits dont nous avons de ce fait déjà l’expérience.
  • Mais pour moi, le top chez eux et que je n’ai pas vu ailleurs, c’est l’amour des belles matières qu’on utilise avec beaucoup de créativité pour une société qui cherche des solutions durables. En tant que reconstitutrice de parfums historiques qui ne travaille qu’avec le naturel, voir des boules de vétiver pour les placards, de vraies éponges de Grèce, des porte-savon en argile qui font aussi office de pierre gommante pour le corps ou du charbon actif japonais pour purifier son eau, c’est vraiment le paradis des bonnes idées ! Ce que je trouve particulièrement inspirant.
  • Et bien sûr les matières premières locales valorisées : ce qui m’a même poussée à me renseigner sur les algues de nos côtes et découvrir qu’elles ont longtemps fait l’objet d’une importante exploitation dans notre histoire, et qu’elles possédaient des super pouvoirs.
  • D’autre part, étant globalement allergique au parfum de synthèse, je mets une mention très bien à une entreprise qui sait proposer un même produit avec ou sans parfum, ce qui permet en somme, d’accueillir tout le monde.
Les éponges grecques telles que les Grecs les proposent dans les boutiques spécialisées.
  • Enfin, contre toute attente, le passage et les discussions dans la boutique prouvent que Ma Kibell est connue et estimée dans sa région, et même, qu’on en est plutôt fier, là-bas !

Le site de Ma Kibell ( mais le mieux est quand même de rencontrer une boutique)

Votre déodorant, vous le voulez avec ou sans parfum ?
Encore une super idée !

Cet article et photos sont la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.

Reconstitution de médicaments anciens

La reconstitution de médicaments et soins anciens est aux fondements du projet du Labo. En effet, bien qu’au Marché de l’histoire, quelques visiteurs mauvaises langues fassent parfois le trait d’esprit qu’évoquer Cléopâtre dans le nom de sa boutique sonne plutôt racoleur, ceux qui connaissent le blog et le projet savent que ça n’est pas gratuit puisque ma première reconstitution – par où tout a commencé – était celle d’un nettoyant issu du livre de Cléopâtre et repris par Aetius d’Amide, médecin de l’Antiquité.

Quelle était la distinction entre parfums pour parfumer et parfums pour soigner dans l’Antiquité ? À présent qu’aucun livre de parfumeur n’a été retrouvé et que les livres consacrés aux cosmétiques ont également tous disparu, il est difficile de le savoir. Mais dans le livre de Galien sur les remèdes, Méthodes de traitement, on peut voir le médecin de Pergame recommander l’utilisation d’un parfum ordinaire de parfumeur de son époque. Donc, malgré le mépris affiché des médecins anciens pour le travail de parfumeur, il y a de fortes chances que les formules n’aient pas beaucoup différé et que la distinction n’ait été que celle de la « noblesse d’intentions».

L’idée de refaire des médicaments anciens a germé très tôt dans mon esprit parce qu’en cherchant des recettes variées de kyphis – puisqu’il en existe plusieurs depuis l’Egypte ancienne – j’étais tombée sur un ouvrage français de pharmacopée du XVIII ème siècle qui m’en avait fourni une et permis de la ressusciter. Pour autant, c’était une recette plus ancienne que les médecins avaient pris soin de conserver et transmettre aussi longtemps qu’ils en avaient eu l’utilité.

Mais ce n’était pas la seule des recettes de fumigations médicinales que je pouvais avoir envie de refaire et les recettes précises de médicaments me sont apparues comme une mine d’or pour l’exploration des senteurs et remèdes anciens. Je me suis donc procuré l’ouvrage entier pour l’avoir toujours sous la main et pour pouvoir l’étudier.

Je l’ai donc parcouru à la recherche de ce qu’il était possible de faire, car effectivement, ce n’est pas une mince affaire ! Envisager une recette de médicament ancien – eux, ils disaient drogue – est en réalité affaire de circonstances favorables et de conditions précises que je m’impose à moi-même ou qui me sont imposées par les simples conditions de sécurité et de bon sens :

  • Je ne manipule pas de matières chimiques que je ne maîtrise pas ou que je soupçonne d’être dangereuses.
  • Je n’envisage pas de sacrifier un chiot, un pigeon ou un serpent même pour un remède très populaire autrefois.
  • Je peux obtenir ou je possède déjà toutes les matières premières nécessaires à la recette.
  • Je suis capable de recréer les situations de réalisation.
  • Je ne réalise les recettes que si je peux les reproduire à 100%. Si j’opère un changement que j’ai jugé nécessaire et possible, je mentionne lequel et pourquoi c’est pertinent.
  • Je m’autorise des écarts sans importance créés par la modernité (j’utilise parfois l’électricité et mon eau de source peut parfois couler du robinet)
Plaque à induction pour médicament galénique.

Une fois ceci posé, je coche les recettes qui sont réalisables selon ce cahier des charges et je les laisse infuser dans mon esprit pendant des mois. Car qui dit médicament ancien dit arrière-plan très riche de culture implicite à laquelle nous n’avons plus accès : théories médicales anciennes et toutes relatives à leur époque, procédés, gestes, croyances qui nous sont complètement étrangers. Il faut aussi s’habituer aux exigences des étapes, si on les a bien comprises et si on peut les suivre. Enfin, le dernier point et pas des moindres est celui des poids et mesures anciens qu’il faut transposer, voire conserver en l’état pour obtenir une information de plus.

C’est le cas de la poudre de Diospoli, un médicament dont la recette a été donnée par Galien et qui subsiste, inchangée, au XVIII ème siècle. Inchangée parce que l’apothicaire du XVIII ème siècle l’a trouvée parfaite ainsi et n’a de ce fait pas voulu y toucher. Mais il n’est pas rare que les auteurs d’ouvrages de pharmacopée notent la recette de base, puis en proposent une version réformée pour y apporter des améliorations qui leur semblent utiles à présent qu’ils pensent avoir avancé en connaissances.

J’ai suivi les étages de la recette, mais contrairement à d’habitude, j’ai aussi suivi les proportions données. D’habitude, ayant affaire à des proportions industrielles – pour le cas des parfums de parfumeurs – il n’est pas possible de les reproduire puisque ces cosmétiques ont désormais changé de statut : de produits à la mode et de grande consommation autrefois, ils sont passés à l’état de curiosités, reconstitutions historiques artisanales dans un but de connaissances.

Suivre fidèlement les proportions de la recette, en plus de ses ingrédients et ses étapes permet de se faire une idée précise de la quantité qu’on en gardait en officine pour satisfaire à la demande d’autrefois.

Poudre de Diospoli

Néanmoins, les médicaments anciens ne sont pas seulement difficiles à réaliser, ils sont aussi délicats à manier. J’ai failli renoncer à les faire, me disant qu’au minimum, ils ne seraient pas achetés, et au maximum, qu’ils pouvaient tomber dans de mauvaises mains ! Mais fournissant régulièrement des produits à une association de médecins enseignant l’histoire de la médecine lors de reconstitutions costumées, j’ai eu l’idée de leur proposer de reconstituer quelques médicaments pour également faire progresser les savoir. Tandis que j’ai l’habitude de réaliser des recettes médicinales anciennes, eux savent quand et dans quel contexte on employait le produit fini. Donc, ce que j’ai à proposer tombera dans les meilleures mains possibles, et les médicaments ressuscités retrouveront une raison d’être sans corruption possible.

Bien évidemment, c’est moi qui choisis les recettes que je peux faire et quand je peux les faire, mais à part ça, je compte bien explorer â mon rythme ce domaine, sachant qu’entre le moment où j’en découvre une de réalisable et que je la réalise effectivement, il peut bien se passer entre plusieurs mois et plusieurs années !

Néanmoins, ce que j’ai fait une fois, je peux plus aisément le refaire, donc, si vous êtes une association d’histoire de la médecine reconnue, que vous êtes intéressés par des médicaments reproduits à 100% et qu’on peut enfin appréhender par les sens dans l’état de fraîcheur qu’ils devaient avoir quand on les utilisait, vous pouvez me contacter sur la boîte mail du Labo de Cléopâtre pour qu’on en discute – à condition que ce soit dans un but de connaissances.

Vous pouvez aussi me rencontrer au marché de l’histoire de Compiègne et venir voir et sentir les médicaments que je réserve à Scalpel et Matula, s’ils ne les ont déjà emportés.

En attendant, je compte mettre sur le blog des articles catalogues des médicaments déjà réalisés, leur fonction, et l’époque où on les utilisait.

  • Poudre dentifrice orientale – 1878 M. Pradal. Nouveau manuel du parfumeur.
  • Poudre de Diospoli. 1763. Pharmacopée universelle de Lemery mais recette de Galien. « Pour abattre les vapeurs, les coliques venteuses et susciter les mois aux femmes. 

Cet article et photos sont la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.

DIY : Bain de bouche concentré à la sauge

Ayant des problèmes de gencives, je tente et teste beaucoup de produits d’hygiène dentaire du commerce ordinaire et de parapharmacie.

En lisant le livre de Maria Trében : La santé à la pharmacie du Bon Dieu, j’ai vu qu’elle recommandait la sauge pour ce genre de problèmes : « inflammation de la cavité buccale », « dents branlantes et saignantes », « déchaussements des dents et tumeurs gingivales ». Elle recommande ainsi une simple tisane en gargarisme à 1 cuillère à café pour 1/4 de litre d’eau.

Cette tisane utilisée en gargarisme est effectivement recommandée par certains dentistes – la sauge ayant par ailleurs une très bonne réputation comme plante médicinale depuis les temps les plus anciens.

Fatiguée de faire tous les jours de la tisane, j’ai décidé de stabiliser la préparation pour me libérer de cette contrainte journalière en créant un bain de bouche aussi efficace que durable et uniquement à base de plantes, sans alcool ni conservateur de synthèse.

Mission accomplie ! Voilà 8 jours qu’elle a été faite et ne montre aucun signe de corruption. Mais pour y arriver, il faut suivre la recette et respecter strictement les conseils d’hygiène. Vous êtes prêt ?

– Ingrédients

– Sauge séchée : 4 cuillères à soupe

– Eau : 1 litre

– HE clous de girofle : 4 gouttes

– Matériel

– Casserole

– Verre doseur

– Petite bouteille de verre neuve ou stérilisée (obligatoire !)

– Tamis

– Entonnoir

– Étiquette, stylo

Mettre les feuilles séchées et l’eau dans la casserole, faire chauffer et bouillir. Continuer la décoction jusqu’à belle réduction du liquide. Passer au tamis pour enlever les feuilles et remettre dans la casserole pour affiner votre réduction jusqu’à environ 200 ml (le verre doseur sert à le vérifier).

Laissez refroidir votre préparation puis versez-la avec l’entonnoir dans votre bouteille stérilisée ou neuve – j’insiste sur son hygiène qui doit être irréprochable ! -.

Finissez par les 4 gouttes d’huile essentielle de clous de girofle. Fermez, mélangez et collez dessus une étiquette indiquant ce que c’est et la date de réalisation. Voilà, votre bain de bouche sans alcool est prêt !

– Variante sans HE

Vous n’avez pas d’huile essentielle de clous de girofle mais souhaitez quand même réaliser cette recette ?

Comptez 6 grammes minimum de clous de girofle, concassez-les pour libérer les huiles essentielles et intégrez-les à votre préparation avant de mettre la tisane à chauffer.

Puis suivez la recette normalement.

– Utilisation : ce produit est un concentré pour remplacer des tisanes, il se prend donc en dilution et ce d’autant plus que la présence d’une grosse dose de sauge en fait un produit fortement dosé malgré sa formulation 100% naturelle.

Utilisez un petit bouchon que vous mélangerez dans la même quantité d’eau pour faire votre bain de bouche.

– Remarques : le mélange est fort mais contrairement aux bains de bouche ordinaires à l’alcool, il ne pique pas, n’irrite pas et peut donc se garder de longues minutes si on le désire.

– L’étiquette mentionnant la date est très importante : elle vous permet de contrôler la durée de vie du produit. Il est prévu pour être auto-conservé et donc ne pas se corrompre, mais des paramètres dans l’environnement peuvent changer là situation. Assurez-vous toujours que le produit n’est pas dégradé ( moisissures, odeur qui change, etc. )

– Pour conserver le mieux possible votre produit, ne mettez pas les doigts dans le bouchon, sur le goulot et nettoyer de temps en temps le bouchon à l’alcool ou au savon.

– Notes sur les plantes :

– La sauge est anti bactérienne et anti inflammatoire. Elle ne présente pas de danger mais est déconseillée aux femmes enceintes, allaitantes et aux épileptiques (il est à remarquer néanmoins qu’on ne l’utilise ici qu’en gargarisme et non en interne !)

– L’huile essentielle de clous de girofle – comme le clou de girofle – a une certaine toxicité en cas de surdosage, mais à une goutte pour 50 ml, dilué encore dans 50 % d’eau, et non avalé, pas de soucis !

L’avantage du clou de girofle est double : c’est à la fois un conservateur naturel très efficace par son action antibactérienne puissante, et de ce fait, c’est un produit dont l’odeur est très associée aux dentistes dont le principe actif, l’eugénol est abondamment employé dans cette profession. Issu principalement du clou de girofle qui en contient plus de 70 %, il est utilisé dans presque tous les produits d’hygiène dentaire : dentifrices, ciment dentaire, bain de bouche, etc…

Attention : l’HE de clou de girofle est déconseillée aux femmes enceintes, aux enfants de moins de 6 ans et aux personnes souffrant de troubles de la coagulation. Ne pas ingérer.

Enfin, est-il besoin de vous dire qu’en cas d’allergie, intolérance et autre désagrément à l’usage, vous ne devez pas prendre ce produit ?

Cet article, photos et recettes sont la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.

Réalisation d’une pommade 18 ème siècle en images

Le mois dernier, j’ai tenté une recette qui m’attirait depuis quelques temps, trouvée dans un ouvrage destiné aux parfumeurs et daté du 18 ème siècle.

C’est une pommade pour les lèvres légèrement teintée et comme toujours au 18 ème siècle, entièrement naturelle. Un siècle plus tard, les choses auront bien changé et la chimie s’invitera dans les parfums et cosmétiques.

Pour autant, en 1920, encore, quand apparaîtra le premier rouge à lèvres, il aura pour base les modestes ingrédients de cette recette : un cérat pour base, du raisin et de l’orcanette pour la couleur. Et c’est tout ? Et bien oui.

Le cérat chauffe tandis que les grains de raisin attendent l’heure de leur entrée en scène.
Les voilà réunis. Je les abats au presse purée.
Cuisson.
Je retire la chair et les pépins.
J’ajoute l’orcanette.
Après plusieurs tâtonnements, je décide de faire ce que je crois juste car l’ouvrage ne mentionne comment parvenir à une homogénéité.
Je remets le cérat que j’avais retiré du mélange.
J’unis l’un et l’autre : j’ai effectivement une pommade rosée.
Je mets en pots de format baume à lèvres contemporain. J’ignore comment étaient les contenants au 18 ème siècle.

Vous voulez sans doute savoir le reste : ça hydrate bien, ça a la force colorante d’un gloss discret, ça sent bon et le raisin laisse un délicieux petit goût sucré sur les lèvres. L’ouvrage précise que ce produit se conserve 2 ans !

Bien sûr, j’imagine qu’en fonction des variétés de raisin noir, il est possible d’avoir des couleurs plus ou moins intenses, sachant que celles-ci devaient être moins variées qu’aujourd’hui. En les identifiant, on aurait la palette des rouges possibles au 18 ème siècle, du moins pour cette pommade.

Enfin, c’est évidemment un produit pour les aristocrates, et forcément un produit saisonnier qu’on ne pouvait faire qu’à l’époque de la récolte du raisin. Il en était donc un peu du rouge à lèvres pour les dames comme du vin pour les messieurs.

Parfum antique, parfum traditionnel

C’est un propos sur lequel je reviens assez souvent, que l’expérience et la pratique m’ont fait adopter : ce que nous appelons parfum antique est quelque chose de toujours vivant dans les sociétés traditionnelles, ce qui me pousse à le considérer non comme le parfum antique mais le parfum traditionnel. En effet, ce que nous considérons comme le parfum des Anciens – car il était utilisé dans l’Antiquité, et avec lequel nous nous sentons tellement en décalage temporel – est en réalité celui que nous utiliserions encore si, à partir de la fin du XIX ème siècle, la chimie n’était venue remplacer les molécules odorantes au nombre de centaines dans une matière première naturelle par d’autres molécules moins complexes qui en imitent l’odeur.

Depuis, nous nous y sommes habitués et c’est devenu une culture telle que nous sommes capables de dire qu’un parfum sent un ingrédient qui n’y est pas du tout mais qu’on nous a appris aussi à reconnaître pour tel et qui de fait, lui ressemble un peu. Pourtant, si on remonte un peu en arrière, juste au XVIII ème siècle, on trouve des livres de pharmacie contenant des recettes de parfums aux ingrédients encore naturels et qu’on peut reconnaître comme étant celles des médecins de l’Antiquité, notées dès le I er siècle. Du I er au XVIII ème siècle, on peut vraiment parler d’une belle longévité.

Certes, ça ne s’est pas passé de façon aussi idéale, et après une éclipse dans laquelle les livres antiques furent perdus au nom du christianisme triomphant, on a fini par les faire revenir d’Orient où ils s’étaient réfugiés. Entre temps, la distillation est passée par là, mais avec la fugacité d’un parfum volatil dont l’alcool s’évapore, un parfum sec ou une boule parfumée d’ambre, de storax, de civette ou d’iris tels que ça existait pour parfumer gants et pomandiers, étaient bien plus durables dans le temps même si plus légers et discrets à la première rencontre.

Le parfum traditionnel, c’est une culture; celle dont il faut se déprendre : la chimique, – qui est répandue parce que souvent bon marché mais qui n’est pas si universelle – et celle qu’il faut découvrir, la naturelle et qui fait nos parfums initiaux, originels, dont les racines sont la Terre depuis l’aube de l’humanité – sous des formes parfois si inattendues comme une racine longue au séchage ou du vomi de cachalot.

En soi, puisque cette culture est locale, puisque nous n’avons pas la même culture du parfum selon que nous sommes européens, africains, asiatiques, etc..et ce jusqu’à des raffinements très spécialisés – comme pour toute culture ancienne -, elle est malgré tout universelle. Partout, en effet, on a employé et on a eu du goût pour ce qui poussait à proximité, ou ce que l’histoire des échanges commerciaux nous avait permis de découvrir de senteurs exotiques attisant le désir, les rêves de luxe et ouvrant les voies commerciales au trafic bien organisé comme les célèbres routes de l’encens. Un goût encore sublimé par la culture poétique et religieuse, le parfum servant autant les désirs amoureux que les dévotions aux dieux.

En effet, la poésie antique, la Torah, la Bible de Jérusalem comme les descriptions de jardins au Moyen-Age foisonnent d’évocations parfumées, d’images olfactives, de métaphores odorantes et amoureuses, particulièrement dans le Cantique des cantiques mais aussi dans la mythologie grecque. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Même dans l’invention d’un parfum chimique, le plus grand critère de réussite est d’être parvenu à imiter un ingrédient naturel, qui reste la référence incontestée même si, dans la réalité de nos perceptions, nous pouvons en être bien plus déconnectés que ce que nous pensions. Une femme qui sent la vanille fait peut-être rêver, mais qu’en est-il si on nous dit qu’elle sent la vanilline ( Vanille et Vanilline de synthèse ) ?

Dans les poésies omanaises, algériennes contemporaines mais traditionnelles, on évoque toujours l’encens, la rose, les épices comme au Moyen-Age on réunissait dans un même jardin des espèces inconciliables dans la nature mais que le goût, la culture et l’imagination avaient réunies : le nard, la myrrhe, le cèdre, l’encens, la cannelle..

Les parfums dits anciens, on les retrouve encore actuellement dans les préparations traditionnelles : colliers de perles parfumées artisanales de traditions algérienne, malienne, sénégalaise, les malas et bracelets de bois de santal, ou de oudh de la tradition asiatique, les rosaires de pétales de roses compressées de la tradition catholique. On les retrouve aussi dans les encens destinés à parfumer les vêtements, un peu partout en Afrique, au Moyen-Orient, en brut, ou transformés par une culture du parfum qui ne s’est pas reniée et cumule tout son savoir – des matières premières naturelles aux derniers parfums à la mode mêlés dans des créations nouvelles – dans des thiourayes et bakhoor.

On les retrouve également au Japon, qui préfère les senteurs naturelles et les belles matières premières – bois d’agar, de santal, de cèdre du Japon – dont il fait brûler le parfum délicat dans les tissus précieux ou tout simplement en les rangeant dans des meubles de bois parfumé. Quand j’étais étudiante, j’avais une amie japonaise qui rangeait ses mouchoirs dans un petit meuble en bois de santal pour qu’ils aient ce parfum. Autrefois, ça n’avait pas grand sens pour moi. Mais aujourd’hui que je travaille les senteurs antiques et traditionnelles, non seulement je le sais, mais cette façon qu’a le bois de santal de dégager son parfum me la rappelle, elle et l’appartement qui s’était imprégné de l’odeur naturelle du bois brut.

Ces expériences vous paraissent étrangères ?

A moi aussi, avant, cela faisait ça. Maintenant, elles parlent le même langage que les diapasmas, les encens antiques, les fumigations et kyphis que je propose dans ma boutique. Et vous le voyez, ce n’est pas un bond spatio-temporel qui a été fait mais un bond culturel dans les mentalités. Ce qui me fait dire ça ? On a essayé d’imposer les parfums chimiques aux Japonais. Mais on ignore pourquoi ils n’en ont pas voulu et sont restés au bois d’agar, au cèdre, santal et à l’huile de camélia.

Enfin, on ignore pourquoi…En vérité, on le sait !

(Photo à la UneParfum sec de roses, recette grecque ancienne; poudre junko du Japon multi-usage comme les parfums secs de l’Antiquité et toujours en usage comme déodorant et pour parfumer les kimonos; gowe, souchet qui sert de base à de multiples parfums africains )

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L’importance des matières premières dans les parfums antiques

Redécouvrir les senteurs antiques est une aventure olfactive qui relève de l’apprentissage, de la culture et peut être plus ou moins un défi selon l’endroit du monde où on vient. En Occident, où les parfums sont des sprays alcooliques, c’est très net. Dans les civilisations plus traditionnelles où les parfums sont des résines, des bois et des plantes aromatiques, c’est beaucoup moins le cas.

De fait, quand nous recherchons frénétiquement l’odeur et uniquement l’odeur – ce qu’on peut faire par la chimie des parfums – d’autres dimensions vectrices de sensations et d’informations échappent à notre perception.

Pourtant, les parfums antiques, c’étaient plusieurs produits mettant en jeu odeurs, textures, matières, couleurs, états de sécheresse ou d’humidité différents. Les parfums, variés, pouvaient être en effet :

  • Les couronnes de fleurs fraîches dans les cheveux
  • La fumée odorante des encens
  • Le kyphi, qu’on peut qualifier d’encens mais dont la matière simple, collante et élastique tout à  la fois relève de l’exception – qu’on devine aisément, à la manipuler, qu’elle fut multifonction
  • Les parfums huileux obtenus par enfleurages
  • Le stacté, résine liquide de myrrhe qui paraît avoir disparu aujourd’hui
  • Les diapasmas, poudres de plantes, de résines, constituant des parfums secsimg_7214

Ces matières, issues du vivant, nécessitent chacune un traitement particulier qui va les rendre odorantes dans les bonnes circonstances et optimiser leur conservation.

Ainsi, si certes on ne peut rien attendre d’une couronne en terme de conservation hors l’immédiateté de son parfum frais qui renvoie l’homme à l’idée de sa propre mortalité, toute plante à parfum, en se comportant différemment – en puissance odorante, en texture, en température, en fragilité et au fil du temps – va déterminer parfois son emploi précis dans les parfums, au-delà des questions de goût, de mode et d’accès au produit.

Ainsi, la composition d’un parfum huileux ne se fait pas sans du sel pour conserver l’huile ni sans résine ou roseau pour fixer la senteur, comme les Indiens continuent de faire des Attars sur bois de santal pour fixer le parfum qui doit dominer par la suite.

Mais alors qu’il exista un kyphi sans résine, le kyphi de Pylos, qui tenta peut-être d’adapter l’encens égyptien avec des produits locaux, l’abondance des plantes sèches sans aucune résine vient fragiliser un produit qui, lorsqu’il en contient, devient aussi solide que malléable, ce qui a certainement contribué à son aspect fascinant. Car le kyphi paraît alimentaire, vivant, et pourtant incorruptible et immortel.

C’est le cas, d’une manière générale, de ces matières à parfum qui, séchées, conservant longtemps leur aspect et leur odeur, comme les bois odorants, les plantes aromatiques, les résines, certaines racines et rhizomes dont le parfum est persistant. Pour l’Antiquité, une plante à parfum, c’est d’abord une plante dont le parfum résiste, en puissance et dans le temps. Ses deux critères principaux sont donc qu’elle sente puissamment naturellement et qu’elle se conserve dans le temps.

Et qu’en est-il de la bonne odeur ?

Comme partout dans l’espace et le temps, le goût est relatif, très culturel, et d’abord question d’habitude, d’apprentissage. Odeur sucrée, odeur fleurie, l’odeur idéale de l’Antiquité ? Non ! Odeur réalisable, disponible, trouvable dans la nature, faisant l’objet d’une exploitation, d’un commerce et d’une diffusion en masse en lien avec les qualités de puissance aromatique et de conservation. Tout le reste va aussi dépendre des idées liées au luxe, à l’exotisme, à l’histoire du commerce des matières premières et de leur prestige.

En ce sens, les résines, qui cumulaient différentes qualités, étaient toutes exploitées pour qu’elles dégagent un parfum. Or, dans l’Antiquité, les classifications botaniques n’étaient pas précises et plusieurs plantes et résines pouvaient porter le même nom ou rester imprécises.

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Un point de vue qui peut peut-être déranger le chercheur par le flou que cela génère, mais moins pour l’artisan qui, lorsqu’il a l’expérience de ces matières premières, sait, comme les gens de l’Antiquité, que certaines auront des odeurs et des textures très proches qui vont permettre des remplacements, comme pour les différentes sortes de myrrhe ou ce que les Anciens pouvaient appeler le nard.

Enfin, fibres centrales des plantes et feuilles, résines plus ou moins dures et solubles, plantes plus ou moins odorantes contraignent naturellement à certains gestes qui – s’ils ne sont pas écrits dans les textes anciens qui ne s’embarrassent que de noter les recettes – s’imposent avec la pratique et la connaissance du produit, de la matière brute qui sert à réaliser parfums huileux, kyphis, encens et diapasmas.

Et tout d’un coup, un univers qui ne paraissait qu’olfactif révèle une profondeur insoupçonnée, imposée par les subtilités de la matière à parfum, unique et ainsi porteuse d’un nouveau sens secret, quasi ésotérique.

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