Les épices spirituelles de Noël

Quand on interroge la toile sur l’origine des biscuits de Noël, et plus spécifiquement des épices de Noël, on trouve une flopée d’influences qui peuvent aller des Chinois aux Mongols en passant par les Croisés. C’est encore plus vrai pour le pain d’épices qu’on fait remonter jusqu’aux Égyptiens et aux Grecs, qui fabriquaient le « melitounta », un gâteau de miel déjà associé aux fêtes de fin d’années.

Et même si globalement, on a pu trouver à toute époque à partir du Moyen Âge pains et gâteaux mêlés d’épices évoquant de près ou de loin le célèbre biscuit de Noël, il faut reconnaître que là où la tradition reste la plus vive et la plus ancrée, c’est en Allemagne et en Alsace où on en fabrique en famille dès le mois de novembre, et sur lequel on a aussi des dictons.

Dans le blog pourdebon.com, le producteur d’épices Max Daumin estime que le biscuit de Noël est né dans les monastères allemands de la période médiévale. À cette époque, les épices étaient rares et dotées de vertus extraordinaires pour les gens du Moyen-Age qui voyaient en elles des produits médicinaux presque magiques. De fait, les épices étaient d’abord réservées à une élite.

Mais c’était en réalité pour une raison religieuse que les moines prenaient des ancêtres des biscuits de Noël à la période de l’avent. On considérait les épices comme « purificatrices du corps et de l’esprit », si bien qu’elles disposaient à se préparer à accueillir la naissance du Christ, qu’on fête à cette époque-là de l’année. Les ancêtres des biscuits de Noël semblaient donc associer les épices à des bienfaits influençant jusqu’aux humeurs – du corps jusqu’à l’esprit, donc – laissant ainsi la place à la joie que l’annonce de la naissance du Christ devait susciter dans un monde très chrétien.

Max Daumin prévient justement : « l’usage de ces douceurs était bien certainement purificateur du corps et de l’esprit, un médicament. »

Le biscuit de la Joie version contemporaine avec sucre et beurre.

D’ailleurs, à bien y regarder, l’ancêtre du biscuit de Noël ressemble à la version initiale du biscuit de la Joie, dont la recette originale consistait uniquement en fleur de farine, cannelle, muscade, un peu de girofle et un peu d’eau pour lier.

Le biscuit de la Joie d’Hildegarde von Bingen.

Des épices dans lesquelles Hildegarde voyait un tonique pour la cannelle, la vertu de « purifier les sens et donner de bonnes dispositions » pour la muscade, la stimulation de la vitalité pour le clou de girofle.

2 biscuits de la Joie : l’ancien, que plus personne ne connaît, et le nouveau, que tout le monde mange à Noël.

Tout comme le biscuit de Noël, il est possible de trouver le biscuit de la Joie dont on attribue toujours la recette d’Hildegarde qui, du haut de son XII ème siècle, ne goûtait ni le sucre ni le beurre – peu employés voire inconnus à ces époques-là où on utilisait plus volontiers miel et saindoux -. Mais évidemment, c’est une gourmandise de laquelle il ne manque aucune des douceurs dont vous avez aujourd’hui l’habitude.

C’est bien ce gâteau gourmand, délicieux et épicé dont on se régale qui semble être l’arrière-petit-fils de ce biscuit de l’âme qui avait finalement tout d’une hostie austère bien qu’épicée. Et quand on le goûte, effectivement, c’est bien un aliment d’ascèse auquel on a affaire, et seuls les plus motivés par la recherche historique en mangeront !

Alors, quand vous prendrez un biscuit de Noël, vous pourrez penser à vos ancêtres d’Europe dont vous perpétuez sans le savoir une pratique spirituelle de notre Moyen-Age très chrétien consistant à se purifier le corps et l’esprit pour se préparer à accueillir la venue du Christ le 25 décembre.

Et ce même si aujourd’hui, seule est visible la gourmandise.

(Aux fourneaux historiques : J.B Lullien-Kochanski pour les 2 biscuits de la Joie comparés)

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Condiments et mélange d’épices historiques à la boutique du Labo

La boutique du Labo de Cléopâtre a déjà 8 ans ! L’expérience elle-même et le blog courent bientôt sur les 10 ans. Si vous me suivez, vous savez que le Labo de Cléopâtre, c’est d’abord et avant tout un petit projet de recherche en archéologie expérimentale qui tente de ressusciter d’authentiques recettes anciennes, principalement d’encens et de parfums.

Mais le saviez-vous, la notion de parfum dans les époques antérieures englobe un domaine plus vaste que celui d’odeur qu’on diffuse volontairement dans l’atmosphère ou sur son corps. Elle comprend aussi les senteurs et saveurs destinées à la cuisine mais plus encore à la médecine. On peut d’ailleurs hasarder que chaque fois qu’il est possible d’outrepasser les nécessités du simple fait de se nourrir à partir de ce qu’offre le terroir et le commerce plus vaste – des épices d’Orient et des bières de Gaule, entre autres – pour concevoir des recettes à visée médicinales, les cuisiniers s’y adonnent. Et ce de façon consciente ou inconsciente, ne serait-ce que parce que les parfums ont toujours été aussi considérés comme des remèdes, même encore aujourd’hui.

C’est ce qui ressort des divers ouvrages de médecine comme de cuisine ancienne, où chez Apicius et Galien, notamment, on cite régulièrement les bienfaits d’un aliment, d’un condiment, d’un mélange d’herbes, etc..

Les préparations du Labo

  • Le defrutum

J’ai commencé par des defrutum que je faisais pour moi afin réduire le sucre ajouté de mon alimentation. En effet, cette sorte de mélasse de fruits purs extrait le sucre naturel du fruit en le concentrant. J’ai beaucoup travaillé sur fruits secs avec parfois des résultats inégaux tant les fruits peuvent avoir des propriétés différentes, ne serait-ce que dans les taux de sucre qui diffèrent d’un fruit à l’autre. Au fil du temps, j’ai un peu tout tenté avec les defrutum de fruits, même les mélanges.

Le defrutum, dans l’Antiquité, c’était la base des sauces cuisinées que l’on retrouve dans les recettes d’Apicius, en même temps qu’un produit de très longue conservation qui permettait également de garder dans son sirop de fruits cuits la fraîcheur d’un fruit frais. Ces techniques anciennes se rencontrent aussi au Moyen-Orient sous une autre forme : les fruits frais sont conservés dans de solides et hermétiques boites d’argile sans les faire se toucher et peuvent être consommés intacts presque un an après.

Defrutum de figues de la boutique.

On dit que le defrutum pouvait se conserver 10 ans, mais on soupçonne que c’était grâce aux récipients en plomb qui les contenaient. Personnellement, j’en ai fait qui se sont conservés des années en bocal de verre sans perdre ni odeur ni couleur mais à condition d’être très concentrés et non exposés régulièrement aux bactéries. Certains fermentent parfois un peu, mais honnêtement, ça porte peu à conséquence, encore plus si vous l’utilisez comme base de sauce à cuire dans un plat romain que vous cuisinez.

Le defrutum est proposé quelquefois sur le stand du Labo et sur la boutique, et peut être réalisé avec des fruits différents selon la saison où il a été fait. Néanmoins, pour plus de pertinence, je ne vous propose que des fruits communément employés dans l’Antiquité, seul moyen d’approcher la vérité historique.

Lien vers Le defrutum

  • Mélange d’épices

Je trouve les mélanges d’épices toujours très inspirants, ils constituent vraiment une énigme et en même temps un produit archéologique très concret, surtout quand la recette est bien détaillée. Selon moi, il est inutile de faire les mélanges que tout le monde fait : avec ma bibliothèque de recettes historiques et mon riche atelier de plantes à parfum du monde entier, il est plus intéressant d’ajouter à l’offre un mélange authentique, complexe et rigoureusement respecté pour enrichir l’offre d’une vraie recette ancienne.

Autrement dit, ne cherchez pas chez moi d’épices qui soient simples ou bon marché ; mon objectif est d’apporter mon savoir-faire en matière de recettes et de matières premières inhabituelles pour les mettre au service des reconstituteurs et cuisiniers qui veulent travailler rigoureusement la cuisine historique.

Le livre d’Apicius et la recette de sel épicé que j’ai recréé grâce à lui.

C’est pourquoi vous trouverez mon sel d’Apicius à un prix déraisonnable parce que pour respecter la recette, il contient autant de safran qu’il le devrait. L’amour pour cette épice a atteint son paroxysme à l’époque romaine – et divers historiens le rapportent à plusieurs occasions – mais bien évidemment, elle était seulement réservée à l’élite, celle qui a pu élaborer des recettes de cuisine et les conserver par écrit, à l’instar de cet Apicius, premier gastronome de l’histoire à qui on a attribué, 3 siècles après sa mort, la paternité de cet ouvrage. Pour l’ordinaire du peuple, plus de pain, bouillies de céréales, légumineuses que d’épices et de plats mijotés dans des sauces raffinées.

Lien vers le sel d’Apicius

Je propose aussi un mélange d’épices arabes médiévales Atraf-Al-Tib – « côtés de parfum », déjà acheté et utilisé aux États-Unis pour la reconstitution d’une recette ancienne – exactement ce pour quoi je l’ai conçue, ce qui ne peut me faire que plaisir, évidemment. Ce mélange servait pour des préparations assez diverses et surprenantes et entrait même dans la composition des parfums, dont je vous propose une version Ici. Et nul doute que si je trouve d’autres recettes qui m’inspirent et que j’aie envie de faire, je vous les proposerai en boutique.

– Lien vers Atraf-Al-Tib, mélange d’épices arabes du Moyen-Age

  • L’oxymel

Enfin, j’ai décidé de proposer l’oxymel, considéré comme le premier médicament de l’histoire occidentale. Originellement, il associe miel et vinaigre ensemble, mais la recette romaine authentique y ajoute de l’eau de mer et 10 cuissons successives avant de faire vieillir le mélange.

Aujourd’hui, on continue d’utiliser l’oxymel, mais on considère que ses vertus se déploient quand le mélange reste crû – ce qui paraît plus logique, mais la cuisson était importante dans les temps anciens –

Tout est dit sur l’étiquette !

L’oxymel que je vous propose mêle vinaigre de cidre, miel de sapin grec et dictame de Crête. J’ai voulu ce mélange pour vous offrir un Oxymel à saveur grecque authentique et rare, cumulant en plus 2 remèdes médicinaux de l’Antiquité. Un remède médicinal qui a fait son retour après la crise économique en Grèce auprès des gens qui n’avaient plus les moyens de se soigner – tant la médecine populaire fait partie de la mémoire d’une nation, même si elle est très ancienne –

L’oxymel, on peut en ajouter une cuillère à café dans un verre d’eau, jus, tisane et ce 3 fois par jour pour ses vertus médicinales (digestives et anti bactériennes, notamment) ou s’en servir pour faire une vinaigrette. J’ai créé ce produit rigoureusement pour vous le faire découvrir et utiliser de multiples façons.

Lien vers Oxymel au dictame

Et si vous me voyez vous en proposer encore d’autres spécimen, ne vous étonnez pas : ma curiosité semble n’avoir pas beaucoup de limites ! Et si la vôtre vous pousse à vouloir découvrir ces remèdes et saveurs anciens, rendez-vous dans la boutique du Labo de Cléopâtre !

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L’usage vivant et magique du parfum dans le Hoodoo

Le Hoodoo est un ensemble de pratiques magiques et spirituelles développé en Louisiane à l’époque de l’esclavage. De racines d’abord exclusivement africaines, il s’est enrichi et métissé au cours de son évolution des apports culturels des autres populations pauvres et ostracisées au même titre que les anciens esclaves – amérindiens, descendants de français qui n’avaient pas les moyens de rentrer en France quand Napoléon a vendu la Louisiane aux États-Unis en 1803.

La société louisianaise, très métissée comme il est peu arrivé dans l’histoire, est composée de descendants des premiers colons français, anciens esclaves d’Afrique, population amérindienne première et d’autres, arrivés là à la faveur des migrations et des aléas historiques.

Parmi ces spécificités, les pratiques magiques des anciens esclaves, conçues comme des actions de résistance et d’entraide parmi une population opprimée. Il serait long et inapproprié de décrire ici les principes spirituels du Hoodoo qui a de profondes racines et une riche histoire tout en ayant gagné le statut de véritable culture aux États-Unis et fait l’objet d’études à l’université.

Je vous propose plus simplement de découvrir son rapport aux parfums et produits de toilette – vrais sujet du blog – pour vous faire une idée de son système culturel et de sa richesse folklorique.

En effet, le nombre de recettes d’encens et de parfums divers et variés ne semble pas avoir de limites ! Une pratique plutôt généralisée dans les Antilles puisqu’on la retrouve régulièrement sous forme de lotions à visée spirituelle et magique portant le nom d’un saint ou d’une intention plus directe. Ses racines paraissent être africaines, les parfums connus aux noms évocateurs y étant souvent utilisés pour concevoir des encens à buts spirituels et magiques dans plusieurs sociétés africaines et maghrébines. Des pratiques identiques mais encore plus spécifiques existent là où est pratiquée la polygamie : dans un monde très axé sur la concurrence sexuelle pour s’attacher un homme, les encens et parfums – qui sont l’affaire des femmes – jouent un rôle de premier plan.

Héritier des cultures africaines, le Hoodoo conserve cette tradition des encens et parfums pour le désir, pour séduire, rendre amoureux..Mais tout cela au milieu des autres objectifs infinis que peut projeter l’âme humaine comme la chance, la purification, la richesse, etc..

Encens Hoodoo à but magique .

Une autre pratique à la fois ancienne et moderne très intéressante du Hoodoo est celle des bains, qui trouve ses racines dans les bains rituels et de purification, notamment du judaïsme. Les produits de bain à visée spirituelle en même temps qu’hygiénique rejoint particulièrement des idéaux modernes qui associent depuis fort longtemps les soins de propreté du corps avec des désirs de propreté de l’âme. Produits de bain, savons, nettoyants pour la maison à but spirituel en même temps existent dans le Hoodoo, accompagnant au quotidien les objectifs et les rêves d’une vie. Un judicieux mélange dans une société vivant à un rythme effréné et qui n’a pas toujours de temps à accorder à la réalisation de ses rêves ou la visée de nouveaux projets.

Bain purifiant après travaux spirituels

Les ingrédients utilisés dans ces produits sont étonnamment bien choisis et les recettes sont sûres et précises. C’est du moins ce qui ressort des ouvrages donnant des recettes utilisées dans le Hoodoo mais qui est parfois contesté par les professionnels du commerce : pour faire de l’argent – du moins aux US – beaucoup se contentent de colorer du talc et de le vendre comme un produit magique. C’est dommage, car la tradition, belle et authentique, remonte parfois très loin dans le temps…

Et parce que le Hoodoo est né d’une culture très métissée, on y trouve aussi des classiques de la médecine française des XVIII-XIX ème siècles toujours utilisés comme le Vinaigre des 4 voleurs ou le baume du Commandeur, célèbres en leur temps. Présentes dans la pharmacopée ancienne d’Europe, ces préparations sont toujours utilisées dans le Hoodoo, non comme des curiosité du temps passé mais comme des produits toujours actifs et puissants.

Vinaigre des 4 voleurs

Enfin, le Hoodoo, c’est aussi une très grande utilisation de parfums. Mais un peu comme ce qu’on a pu voir précédemment, les parfums employés le sont à la manière d’une capsule temporelle. Ici, pas de parfums à la mode : les noms de Cologne diverses et de Jockey Club – stars de la parfumerie du XIX ème siècle de France et des Etats-Unis – règnent en maîtres parmi les livres de recettes de parfums pour la chance, la protection, l’amour.

L’eau de Floride, trouvable dans tous les magasins spirituels.

La très grande star, pourtant, c’est l’Eau de Floride de Murray et Lanman, une formule de 1808 très populaire aux États-Unis tout au long du XIX ème siècle et dont l’utilisation dans le domaine spirituel est largement répandue également sur le reste du continent. On lui prête de multiples vertus, tant spirituelles que médicinales, et ses champs d’action semblent couvrir un vaste domaine d’applications possibles : piqûres d’insectes, migraines, désinfection des petites plaies, rafraîchissement, hygiène, etc..

Cette polyvalence l’a certainement rendue célèbre et durable dans la conscience populaire. Au moment de son apparition, l’eau de Cologne était d’ailleurs vantée dans les revues médicales pour les mêmes propriétés qui semblaient infinies, au point qu’on en mettait même dans la soupe !

Texte médical sur les merveilleuses vertus de l’Eau de Cologne.

Enfin, loin des marques à la mode, l’univers du Hoodoo nous transporte notamment dans l’histoire de la parfumerie française de L.T Piver, toujours active mais surtout dans le domaine spirituel où Rêve d’Or et Pompeia, Héliotrope blanc gardent l’aura populaire qu’ils avaient autrefois en aidant l’utilisateur à réaliser les rêves dont ils sont porteurs par leur nom, leur odeur…Un rôle qu’ils ont toujours eu avant le grand triomphe idéologique de la science.

L.T Piver. Lotion Pompeia

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Reconstitution de médicaments anciens

La reconstitution de médicaments et soins anciens est aux fondements du projet du Labo. En effet, bien qu’au Marché de l’histoire, quelques visiteurs mauvaises langues fassent parfois le trait d’esprit qu’évoquer Cléopâtre dans le nom de sa boutique sonne plutôt racoleur, ceux qui connaissent le blog et le projet savent que ça n’est pas gratuit puisque ma première reconstitution – par où tout a commencé – était celle d’un nettoyant issu du livre de Cléopâtre et repris par Aetius d’Amide, médecin de l’Antiquité.

Quelle était la distinction entre parfums pour parfumer et parfums pour soigner dans l’Antiquité ? À présent qu’aucun livre de parfumeur n’a été retrouvé et que les livres consacrés aux cosmétiques ont également tous disparu, il est difficile de le savoir. Mais dans le livre de Galien sur les remèdes, Méthodes de traitement, on peut voir le médecin de Pergame recommander l’utilisation d’un parfum ordinaire de parfumeur de son époque. Donc, malgré le mépris affiché des médecins anciens pour le travail de parfumeur, il y a de fortes chances que les formules n’aient pas beaucoup différé et que la distinction n’ait été que celle de la « noblesse d’intentions».

L’idée de refaire des médicaments anciens a germé très tôt dans mon esprit parce qu’en cherchant des recettes variées de kyphis – puisqu’il en existe plusieurs depuis l’Egypte ancienne – j’étais tombée sur un ouvrage français de pharmacopée du XVIII ème siècle qui m’en avait fourni une et permis de la ressusciter. Pour autant, c’était une recette plus ancienne que les médecins avaient pris soin de conserver et transmettre aussi longtemps qu’ils en avaient eu l’utilité.

Mais ce n’était pas la seule des recettes de fumigations médicinales que je pouvais avoir envie de refaire et les recettes précises de médicaments me sont apparues comme une mine d’or pour l’exploration des senteurs et remèdes anciens. Je me suis donc procuré l’ouvrage entier pour l’avoir toujours sous la main et pour pouvoir l’étudier.

Je l’ai donc parcouru à la recherche de ce qu’il était possible de faire, car effectivement, ce n’est pas une mince affaire ! Envisager une recette de médicament ancien – eux, ils disaient drogue – est en réalité affaire de circonstances favorables et de conditions précises que je m’impose à moi-même ou qui me sont imposées par les simples conditions de sécurité et de bon sens :

  • Je ne manipule pas de matières chimiques que je ne maîtrise pas ou que je soupçonne d’être dangereuses.
  • Je n’envisage pas de sacrifier un chiot, un pigeon ou un serpent même pour un remède très populaire autrefois.
  • Je peux obtenir ou je possède déjà toutes les matières premières nécessaires à la recette.
  • Je suis capable de recréer les situations de réalisation.
  • Je ne réalise les recettes que si je peux les reproduire à 100%. Si j’opère un changement que j’ai jugé nécessaire et possible, je mentionne lequel et pourquoi c’est pertinent.
  • Je m’autorise des écarts sans importance créés par la modernité (j’utilise parfois l’électricité et mon eau de source peut parfois couler du robinet)
Plaque à induction pour médicament galénique.

Une fois ceci posé, je coche les recettes qui sont réalisables selon ce cahier des charges et je les laisse infuser dans mon esprit pendant des mois. Car qui dit médicament ancien dit arrière-plan très riche de culture implicite à laquelle nous n’avons plus accès : théories médicales anciennes et toutes relatives à leur époque, procédés, gestes, croyances qui nous sont complètement étrangers. Il faut aussi s’habituer aux exigences des étapes, si on les a bien comprises et si on peut les suivre. Enfin, le dernier point et pas des moindres est celui des poids et mesures anciens qu’il faut transposer, voire conserver en l’état pour obtenir une information de plus.

C’est le cas de la poudre de Diospoli, un médicament dont la recette a été donnée par Galien et qui subsiste, inchangée, au XVIII ème siècle. Inchangée parce que l’apothicaire du XVIII ème siècle l’a trouvée parfaite ainsi et n’a de ce fait pas voulu y toucher. Mais il n’est pas rare que les auteurs d’ouvrages de pharmacopée notent la recette de base, puis en proposent une version réformée pour y apporter des améliorations qui leur semblent utiles à présent qu’ils pensent avoir avancé en connaissances.

J’ai suivi les étages de la recette, mais contrairement à d’habitude, j’ai aussi suivi les proportions données. D’habitude, ayant affaire à des proportions industrielles – pour le cas des parfums de parfumeurs – il n’est pas possible de les reproduire puisque ces cosmétiques ont désormais changé de statut : de produits à la mode et de grande consommation autrefois, ils sont passés à l’état de curiosités, reconstitutions historiques artisanales dans un but de connaissances.

Suivre fidèlement les proportions de la recette, en plus de ses ingrédients et ses étapes permet de se faire une idée précise de la quantité qu’on en gardait en officine pour satisfaire à la demande d’autrefois.

Poudre de Diospoli

Néanmoins, les médicaments anciens ne sont pas seulement difficiles à réaliser, ils sont aussi délicats à manier. J’ai failli renoncer à les faire, me disant qu’au minimum, ils ne seraient pas achetés, et au maximum, qu’ils pouvaient tomber dans de mauvaises mains ! Mais fournissant régulièrement des produits à une association de médecins enseignant l’histoire de la médecine lors de reconstitutions costumées, j’ai eu l’idée de leur proposer de reconstituer quelques médicaments pour également faire progresser les savoir. Tandis que j’ai l’habitude de réaliser des recettes médicinales anciennes, eux savent quand et dans quel contexte on employait le produit fini. Donc, ce que j’ai à proposer tombera dans les meilleures mains possibles, et les médicaments ressuscités retrouveront une raison d’être sans corruption possible.

Bien évidemment, c’est moi qui choisis les recettes que je peux faire et quand je peux les faire, mais à part ça, je compte bien explorer â mon rythme ce domaine, sachant qu’entre le moment où j’en découvre une de réalisable et que je la réalise effectivement, il peut bien se passer entre plusieurs mois et plusieurs années !

Néanmoins, ce que j’ai fait une fois, je peux plus aisément le refaire, donc, si vous êtes une association d’histoire de la médecine reconnue, que vous êtes intéressés par des médicaments reproduits à 100% et qu’on peut enfin appréhender par les sens dans l’état de fraîcheur qu’ils devaient avoir quand on les utilisait, vous pouvez me contacter sur la boîte mail du Labo de Cléopâtre pour qu’on en discute – à condition que ce soit dans un but de connaissances.

Vous pouvez aussi me rencontrer au marché de l’histoire de Compiègne et venir voir et sentir les médicaments que je réserve à Scalpel et Matula, s’ils ne les ont déjà emportés.

En attendant, je compte mettre sur le blog des articles catalogues des médicaments déjà réalisés, leur fonction, et l’époque où on les utilisait.

  • Poudre dentifrice orientale – 1878 M. Pradal. Nouveau manuel du parfumeur.
  • Poudre de Diospoli. 1763. Pharmacopée universelle de Lemery mais recette de Galien. « Pour abattre les vapeurs, les coliques venteuses et susciter les mois aux femmes. 

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Vidéo : utilisation du brûle-parfum mycénien

Le brûle-parfum mycénien en action, quand le feu prend sur les herbes.

Dans cette vidéo, on ne me voit pas souffler au travers des trous – en quoi consiste peut-être l’innovation de cet objet – mais on voit quand même la sortie de la fumée à travers les trous nombreux du couvercle.

Comme on peut le voir, le dégagement de fumée est lent et doux, contrairement à celui qu’on peut voir sur des systèmes ne comprenant pas de couvercles troués.

On a quelque chose de ressemblant avec les lampes Merlin qui diffusent le cade qu’on brûle toujours dans le sud de la France; à ces différences près qu’il y a beaucoup moins de trous, qu’il est inutile de souffler dessus, que le bois odorant se présente en poudre, et sous la forme d’une pyramide qu’on réalise grâce à un moule. Grâce à ça, le feu brûle sans discontinuer et l’odeur se diffuse doucement : c’est plus efficace, mais plus de 3000 ans se sont écoulés depuis l’époque de notre premier brûleur…

Fumigation du cade avec la lampe Merlin.
(Le papier d’aluminium me permet de protéger les parois du goudron.)

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Reconstitution d’un brûle-parfum mycénien

Ayant cherché dans ma galerie des photos d’Athènes que j’avais visité en 2018, je suis tombée sur des objets historiques que j’avais photographiés au musée archéologique. Comme c’est toujours un plaisir, je prends du temps pour les regarder, et là, un petit brûle-parfum en terre cuite m’intrigue par sa construction. Il est fermé, il a une rangée de trous réguliers sur la partie chaudron et plein de petits trous plus rapprochés sur le couvercle.

Je me demande immédiatement pourquoi, sachant bien sûr que ce n’est pas le fruit du hasard, mais certainement d’une science qui m’échappe mais dont je ne doute pas car je connais bien les Anciens.

Le brûle-parfum a été photographié dans la toute première partie du musée, c’est-à-dire la plus ancienne, celle du Néolithique, des civilisations mycénienne et cycladique. Je n’ai pas photographié la référence exacte mais on est plus ou moins vers 1200 avant J-C, l’âge du Bronze où on situe l’action de l’Iliade.

Photo personnelle, musée archéologique d’Athènes.

Comme j’ai l’habitude de travailler l’argile pour différents objets de la boutique, je me dis que si je veux trouver des réponses à mes questions, je dois refaire l’objet, d’abord parce que je ne pourrai jamais l’observer de plus près sans ça et surtout car c’est à l’usage que nous comprenons les choses le plus souvent. C’est évidemment plus simple quand on possède la connaissance du domaine d’action de l’objet : ici, l’encens ! Ce serait dommage de ne pas essayer.

Je décide d’un protocole très clair : je ne suis pas là pour reproduire un bel objet du musée archéologique d’Athènes pour que tout le monde s’émerveille de ma belle réalisation, mais pour trouver des réponses possibles à la question de la disposition particulière des trous sur ce brûle-parfum. Donc, du moment que je garde la structure des 3 pieds, du chaudron troué légèrement sphérique, du couvercle très troué et de l’anneau, peu importe sa beauté, il sera fonctionnel et donc en mesure, peut-être, de me révéler son secret…

Au bout de plusieurs heures de travail de l’argile que je ne détaillerai pas, j’obtiens ça. Il n’est pas aussi beau que celui du musée, évidemment mais ce n’est pas ce que je vise. Son fonctionnement sera identique puisque les règles de sa structure ont été respectées.

Choses certaines : c’était un brûle-parfum de la période mycénienne trouvée dans une tombe. Cette civilisation grecque très avancée ne connaissait pas les résines lointaines dont le commerce s’établira bien plus tard. Ce qu’on fait brûler dans ce brûleur c’est donc très certainement des plantes locales aromatiques. Ça tombe bien : la Grèce en est bien dotée, même actuellement, et notamment par son relief montagneux très favorable aux plantes sauvages qui y acquièrent plus de force en odeur et en goût, comme ça a été démontré partout dans le monde. De fait, en Grèce et en Crète, on trouve des variétés de thym, menthe et origan qui ressemblent à ceux que nous connaissons mais avec bien plus de puissance aromatique.

Néanmoins, je n’ai pas besoin non plus de plantes grecques ou crétoises pour comprendre comment mon brûleur fonctionne. Je prends une boite de thym et j’en remplis le ventre du chaudron en veillant à ne pas boucher les trous sur lesquels je me pose des questions. Finalement, j’ai pris une boite d’origan et non de thym comme je le croyais : tant mieux car il est bien plus utilisé dans la Grèce d’autrefois – et aujourd’hui aussi, d’ailleurs.

Départ de feu dans le brùleur mycénien reconstitué.

Je mets le feu à mon petit tas de plantes.

Je me suis longtemps interrogée sur ce feu : le faisait-on directement ? mettait-on une braise ? Finalement, je pense que ce n’est pas important dans le contexte de mon brûle-parfum. Dans les temps anciens de la Grèce, le feu se prenait surtout d’une première source qui le possédait. Le mythe de Prométhée raconte justement le vol du feu aux dieux qui permit l’affranchissement des Hommes. Une tradition très importante dans le monde gréco-romain autour des déesses Hestia et Vesta, mais aussi dans le cadre domestique où on veillait à laisser brûler une flamme qu’on emportait en voyage. Un foyer est ainsi un feu collectif partagé par une famille : le symbole et l’appellation sont ainsi restés. Un exemple toujours vivant et très médiatisé reste le passage de la flamme olympique…

Je mets donc le feu et je regarde ce qu’il se passe. Il ne se passe pas grand-chose. Une fois pris, la fumée sort par les trous du couvercle, mais globalement, malgré les trous qui laissent penser que le chaudron est bien ventilé pour permettre une circulation d’air suffisante pour une bonne propagation du feu, ce n’est pas vraiment ce qui se passe. De fait, il faut souvent le rallumer, le retourner pour qu’il accepte de repartir.

Finalement, je ne suis pas sûre de comprendre l’intérêt ou le fonctionnement de cet objet. Sauf que…

La fumigation, j’ai déjà bien pratiqué. Sans aide, les herbes ne prennent pas si facilement et il faut souffler dessus. Mais souffler dessus quand elles sont enflammées, c’est toujours un risque car les herbes sont légères et s’envolent facilement. Le risque de mettre le feu est grand, donc on s’y prend toujours avec une grande prudence.

Le feu ne prenant pas vite, j’ai envie de souffler comme je fais avec. Mais le couvercle est fermé. Oui, mais les trous sur les côtés laissent passer l’air…

Je m’approche des trous du chaudron et je souffle. L’odeur redouble, la fumée sortant du couvercle aussi. Et si c’était ça ?

Je n’y aurais jamais pensé et j’aurais continué à souffler sur le tas de plantes légèrement enflammé pour le faire prendre. Mais prudemment, très prudemment ! Mais avec un tel système, pas besoin de prudence : le brûleur s’en charge. En soufflant au niveau des trous vers l’intérieur, je donne au feu des chances de prendre sans donner aux plantes de chances de s’envoler et mettre le feu par accident.

Bien évidemment, je n’ai pas l’habitude : il m’a fallu plusieurs fois remuer les plantes après ouverture du couvercle pour alimenter le feu en oxygène dont il avait besoin pour prendre. Mais nul doute qu’avec de l’habitude et de la technique, l’utilisation gagne en efficacité et l’objet révèle son vrai potentiel, même si alimenter un feu de plantes aromatiques sans risques d’incendie est déjà d’une utilité non négligeable.

Pour autant, le couvercle joue aussi un rôle fondamental. En restreignant l’alimentation en air, il permet de réduire la force du feu et rallonge ainsi le temps de combustion des plantes et les empêche ainsi de brûler trop rapidement.

Ainsi régulé et contrôlé, le feu brûle les plantes doucement au gré des régulations humaines par le souffle, et les plantes aromatiques diffusent alors leur parfum pendant bien plus longtemps que si elles brulaient à l’air libre.

Sans en avoir bien sûr de certitude, je pense que ce petit objet intelligent – par sa conception minutieuse et très bien pensée pour une fumigation contrôlée – peut très bien avoir été d’un usage médicinal.

En tout cas, ne dites jamais en ma présence que les gens des sociétés anciennes manquaient d’intelligence !

Erratum : si je me mélange entre mycénienne et minoenne, on ne va pas s’en sortir ! Désolée pour les premiers lecteurs ! Heureusement que les doutes donnent des insomnies !

Cet article et photos sont la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.

Le Labo de Cléopâtre à Fous d’Histoire 2023

Une fois n’est pas coutume, au lieu d’écrire un article pour vous annoncer ma présence à venir à l’événement Fous d’Histoire de novembre 2023, j’ai décidé d’en écrire un sur l’événement à posteriori, vu uniquement de mon petit stand.

Il faut dire que ma boutique de parfums historiques y vit des aventures assez uniques à tous les points de vue. Depuis plusieurs années que le Labo de Cléopâtre est présent au Marché de l’Histoire de Compiègne, je n’ai eu qu’à me féliciter d’avoir fait la démarche de m’y proposer. Un très bon accueil lui a tout de suite été réservé car ma proposition venait combler le manque d’un sens qui faisait défaut au Marché de l’histoire et à son beau concept affiché d’histoire vivante : l’odorat.

Mais pour le Labo de Cléopâtre, cet événement est une sorte de Brigadoon – du film du même nom dans lequel un village écossais apparaît une fois tous les 100 ans. Une fois tous les 6 mois, la boutique du Labo de Cléopâtre enfile son costume – à tous les niveaux – et offre au monde ce qu’il peut de moins en moins montrer sur la boutique Etsy : des parfums et cosmétiques historiques authentiques reproduits à 100% dans la majorité des cas.

En effet, sur Etsy, c’est plus la dimension ludique, ésotérique ou magique qui sont recherchés par les clients – hormis le kyphi qui a l’avantage d’être autant célèbre chez les historiens que chez les égyptophiles . Mes reconstitutions de parfums historiques y sont peu achetées, peut-être même peu remarquées quand elles n’y sont pas tout simplement absentes parce qu’interdites à cause d’un règlement strict.

Or, l’aventure et la boutique du Labo de Cléopâtre ont commencé par la recherche historique, évolué avec et s’en nourrit exclusivement, offrant un catalogue riche de khôl, poudres visage du 14 ème, 18 ème et 20 ème siècle, parfums huileux de l’Antiquité, savons des 18 et 19 ème siècles, pomander oriental de la Renaissance, encens de tous lieux toute époque et parfums poudreux 18-19 ème siècles, entre autres propositions.

Un catalogue vivant avec lequel je viens chaque fois avec mon stand et que ma clientèle et mes suiveurs sont venus chercher, au minimum pour découvrir les parfums d’autrefois, qu’on concevait à la fois autrement, et sans chimie. Car au Marché de l’Histoire, c’est le produit historique qui est attendu, recherché, estimé.

Alors, oui, je peux proposer enfin des parfums de l’Histoire entièrement reconstitués à ma clientèle qui, parfois découvre, mais le plus souvent connaît déjà le projet, a déjà acheté des produits, lu le livre et tenté des recettes qu’il y avait dedans et avec certitude, est en train de lire cet article…

Photo prise et envoyée par Hélène, à ma droite.

Ce novembre, j’ai ainsi vu passer des gens qui sont là depuis le début et qui viennent toujours me voir, voir les nouveautés que je propose, et surtout, les sentir, discuter des matières premières et des techniques historiques. J’y ai vu des clients fidèles qui reviennent, des nouveaux qui découvrent et puis aussi des sensibilités et cultures différentes, des nez bouchés – beaucoup ! – des exaltés du parfum – parmi mes favoris ! – mais surtout des gens en lien olfactif direct avec leur mémoire – tous !-.

On y voit aussi souvent des professionnels venus faire leur marché pour des médiévales ou pour un projet d’association quelconque.

Esculape est parmi nous…

C’est ainsi que depuis quelques années, l’association Scalpel et Matula, – qui s’attache à raconter en costume l’histoire de la médecine, équipée d’instruments de chirurgie historiques et ou fidèlement reconstitués, fréquente et se fournit en produits parfumés au Labo de Cléopâtre. A cela une raison très simple : avant le 18 ème siècle, les recettes de parfums, encens, poudres, khôl, sont toutes issues de la littérature médicale.

Jocelyn, Michel et Cyrielle à leur stand présentant cette année la médecine de l’Antiquité.

Chaque chercheur et historien sait que de toutes les recettes parfumées qui nous restent, aucune n’appartient au domaine de la parfumerie – pourtant déjà bien distingué du domaine médical dès l’Antiquité. Et de fait, on les trouve chez Dioscoride, Galien, Pline, etc. dont il nous reste les textes, et jamais de Criton – qui a écrit en son temps sur les cosmétiques, sa spécialité – ou même de l’ouvrage d’Ovide sur les cosmétiques, dont il ne reste que de très courts fragments.

Cyrielle me présente les instruments de chirurgie de l’Antiquité.

C’est ainsi que les parfums du Labo de Cléopâtre avaient avant tout une fonction médicinale, les odeurs étant considérées autrefois comme aptes à soigner.

– Le Rhodinion – parfum de rose – avait la fonction de soigner, entre autres, le mal de tête, des dents, les ulcères variés, et les démangeaisons de psoriasis. Ce parfum se prenait aussi en lavement.

– L’onguent de Sénégré était surtout utilisé pour les troubles gynécologiques et purifiait les blessures de la tête, enlevait les taches du visage au point d’entrer dans la composition d’un fard. Lui aussi s’utilisait en lavement, mais aussi en cérat.

– L’onguent de lys avait la particularité de faire disparaître les cicatrices, marques de meurtrissures. Pris en breuvage, il faisait maigrir – peut-être d’abord parce que c’était un vomitif !

– Quant au kyphi – particulièrement celui de Dioscoride, dont les descriptions sont issues – il « se mêle dans les antidotes, et se donne à boire à ceux qui sont serrés de la poitrine ». Le kyphi se donnait effectivement à boire dans du vin, dans les usages médicinaux anciens.

Si vous êtes venus sur le stand, vous reconnaissez ces produits que vous avez très certainement sentis. C’est effectivement une part de l’histoire de la médecine que vous avez donc ainsi rencontrée.

Et si sur mon stand, le fait n’est pas mis en évidence car l’accent est mis sur les odeurs et les belles façons anciennes et naturelles de les concevoir, dans les démonstrations et ateliers pédagogiques de Scalpel et Matula, les produits parfumés du Labo de Cléopâtre reprennent la vraie fonction qu’ils ont eue dans l’histoire, lors de manifestations où on raconte comment on les utilisait.

Les outils de la médecine antique.

Fière de ressusciter les médicaments de l’histoire, de leur donner forme, texture, vie, couleur et odeur. Merci à l’équipe de Scalpel et Matula pour leur confiance en la fiabilité historique de mes préparations.

Enfin merci à vous de suivre le blog et l’aventure du Labo tout entière. À bientôt pour de nouvelles découvertes !

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Le kyphi de Damocrates

Lors de diverses recherches sur le kyphi, un bon article en ligne qui lui était consacré prétendait que celui-ci avait été utilisé en médecine jusqu’au 13 ème siècle. Pour moi qui reconstitue des kyphis historiques en essayant d’aller au plus près de la recette originale, pouvoir retrouver la recette de ce kyphi tardif était un rêve. Mais c’était surtout la preuve que ce produit avait fait partie de l’histoire de la médecine et des parfums jusque très tardivement.

De là à penser qu’on l’avait utilisé jusqu’au 18 ème siècle, je ne m’y serais pas risquée. Et pourtant. C’est bien une recette de kyphi, employé comme remède parmi d’autres recettes de la pharmacopée des siècles allant de Louis XIV à Louis XV que je retrouvai un jour dans un manuel de pharmacie ancienne. Une trouvaille qui avait de quoi étonner si on ne se souvenait des pièces de Molière – comme Le médecin malgré lui – qui raillent une médecine d’un siècle où parler latin et citer les Anciens suffisait à faire illusion et imposer le respect. De fait, les livres de pharmacie de cette époque sont pleins de recettes de Galien, d’Avicenne et autres médecins de l’Antiquité et du Moyen-Age.

Dans ces circonstances, il n’est donc finalement plus si étonnant d’y retrouver une recette de kyphi. Celle-ci est mentionnée comme la recette de Damocrates, un médecin de l’Antiquité assez tardive qui a réellement existé mais que je n’avais jamais rencontré lors de mes recherches.

Le kyphi, je le connais bien, je le pratique très régulièrement, et il doit être le produit le plus vendu de ma boutique de par le monde. Pour autant, un kyphi comme celui-là, je n’en avais encore jamais vu ni fait. Effectivement, sur une base d’ingrédients identiques, le kyphi de Damocrates s’est payé le luxe de la nouveauté, m’a surprise et contrainte à l’adaptation pour le réussir.

En effet, ce kyphi se présente comme n’importe quelle autre recette classique : des raisins trempés dans du vin, du miel, des résines et des aromates. Jusque-là, c’est un kyphi traditionnel. Sauf que le poids et le volume d’aromates et résines dépasse largement le mélange fruité, ce qui donne à la pâte une texture tout à fait inattendue. Si bien qu’à ma grande surprise, à la fin du mélange, je me retrouve avec un produit à la texture de pâte sablée plutôt qu’à celle de la purée fluide dont j’avais l’habitude.

Pas habituée à cette texture, je décide malgré tout de la façonner immédiatement, parce que c’est écrit de les façonner tout de suite – contrairement à la pâte de kyphi traditionnelle qui nécessite plusieurs jours de séchage avant que ce soit possible. Alors, oui, ça peut et même doit se façonner immédiatement. Car contrairement à d’habitude aussi, la texture ne colle pas et prend immédiatement la forme qu’on lui donne – et ce avec une plus grande rapidité que d’ordinaire. Sa grande malléabilité me pousse alors à utiliser des moules – ce qui devient possible pour la première fois, avec ce nouveau kyphi.

Au lieu d’un kyphi réalisé en plusieurs semaines voire plusieurs mois, je me retrouve avec un produit moulé en une après-midi, et sur lequel il n’y aura plus de travail à faire ! Les gens de l’Antiquité avaient donc trouvé au fil des siècles, le moyen de moderniser à ce point ce produit que la forme encore usitée chez nous au 18 ème siècle était une sorte de kyphi express, plus riche en ingrédients odorants et supposément actifs que ceux des premières recettes qu’on brûlait à la divinité.

Avec sa formule inchangée sauf dans le nombre d’ingrédients aptes à transformer la texture du produit de façon à être utilisé très rapidement en médecine par les Grecs, le kyphi de Damocrates semble nous raconter l’histoire de l’évolution d’une technique de production d’un médicament qu’on semblait trouver efficace depuis son origine mais qu’on a voulu rendre disponible beaucoup plus rapidement. Du supposé Damocrates, contemporain de Pline, au manuel de pharmacie où a été trouvée la recette – qui laisse supposer que celle-ci était encore un remède qu’on faisait couramment – il y a bien 17 siècles de distance ! Et pourtant ! Bien qu’il semble être resté le seul utilisé en médecine, force est de constater que le kyphi de Damocrates est loin d’être resté un produit de l’Antiquité.

Dans sa version laïcisée, médicalisée et expresse, il semble avoir conservé assez de prestige et de croyance en son efficacité pour traverser les millénaires au-delà d’une fonction d’encens destiné au dieu Râ, au point même d’avoir fait partie de l’histoire de la médecine et de la pharmacie françaises.

Au passage, cela semble aussi nous raconter l’histoire d’un produit qu’on a voulu rendre plus efficace en augmentant sa vitesse de production, lui permettant peut-être d’être aussi durable dans le temps, à la faveur conjuguée de sa réputation de longue date et de sa grande aisance de production et d’utilisation dans un monde qui avait de plus en plus besoin de remèdes.

Vous retrouvez le kyphi de Damocrates sur la boutique du Labo. Contrairement aux autres kyphis, il est maniable et chaque pastille peut se casser très simplement pour l’employer de façon plus durable.

– Le kyphi de Damocrates sur la boutique du Labo

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Cosmétiques de Cléopâtre et tabous

Etudier les vrais cosmétiques de Cléopâtre est à la fois quelque chose de fascinant et de déconcertant. Fascinant parce qu’on ne peut être qu’impressionné par les millénaires qui nous séparent des quelques recettes conservées du Kosmètikon de Cléopâtre comme de celles laissées par d’autres, médecins ou botanistes antiques, et déconcertant parce que justement, après deux millénaires, le fossé culturel qui nous sépare est devenu si immense que ces recettes nous choquent.

A l’ère où pasteurisation, stérilisation, hygiénisme et orthorexie font loi, les droits des animaux émeuvent plus que le sort des hommes, au point que si le propriétaire d’un animal a laissé celui-ci dans des conditions de traitement déplorable à cause de sa santé mentale, physique ou économique défaillante, les médias vont préférer relever la peine de prison avec sursis que la détresse qui l’a conduit là et l’empathie que cela devrait aussi nous inspirer…

Dans un tel contexte, difficile d’être sensible aux vraies recettes de Cléopâtre qui, loin des roses, lait, jasmin, qui font rêver, emploient des fientes et des têtes de souris, des dents de cheval calcinées, de l’urine, de la poussière, les plus vulgaires plantes potagères et des racines dignes des pires potions de sorcière de notre imaginaire collectif.Ce tabou est le plus évident. Mais il en est d’autres plus subtils.

Ceux qui veulent étudier Cléopâtre « sérieusement » vont évidemment le faire d’un point de vue historique et politique. Or, ceux qui ont écrit sur elle étaient ces historiens et poètes romains qui ont subi ou construit  la politique de dénigrement des plus vulgaires destinée à la discréditer. L’histoire, la politique, du point de vue de la recherche, c’est « sérieux », et même s’il faut pour cela consulter des ouvrages d’auteurs qui n’ont pas eu de scrupules quant à la notion d’objectivité à la base des recherches actuelles.

Mais qu’en est-il des cosmétiques ? Les sujets « cosmétiques », « produits de beauté » sont en eux-mêmes toujours dénigrés en terme de culture. En gros, c’est « un truc de bonne femme ! ». Quelle personne « sérieuse » pourrait s’y intéresser à part pour faire de l’argent, créer une industrie – ce qui en effet fonctionne très bien – ? On pensait déjà comme ça à l’époque de Cléopâtre. Le seul intérêt que les chercheurs « sérieux » pourrait leur trouver relève de l’histoire de la chimie. Mais ce n’est pas tous les jours qu’on trouve des produits aussi performants et impressionnants que le khôl égyptien, car pour le reste, on se retrouve toujours face à des recettes atroces qu’on retrouve dans les grimoires anciens de magie et qui nous viennent en réalité de la médecine antique.

La dignité retrouvée des recettes de Cléopâtre pourrait se trouver ici : dans le domaine de la médecine auquel ces recettes appartenaient puisque c’est dans des ouvrages de médecins antiques qu’ont été conservées les seules recettes de Cléopâtre que nous possédons encore. Sauf que, la médecine galénique, de même que la plupart des livres de médecine de l’Antiquité ont été abandonnés il y a déjà quelques siècles malgré une période de redécouverte induite par les médecins arabes qui les avaient conservés et qui nous ont permis de les redécouvrir à la Renaissance. La majorité des oeuvres de Galien croupit désormais, méconnues, dans leur latin d’origine, constituant pourtant, à elles seules, le tiers de ce qui nous reste de la littérature antique. Les autres ouvrages médicaux traduits datent le plus souvent de la Renaissance, époque où les poisons de l’Antiquité passaient encore pour des remèdes et tuaient gentiment les riches coquettes de l’époque qui espéraient accroître leur beauté et les faveurs des rois.

On comprend alors que la médecine d’aujourd’hui n’ait pas envie de se pencher sur cet héritage encombrant et dangereux s’il était laissé à la portée de tous, et qu’elle préfère laisser Galien, ses prédécesseurs comme Hippocrate, et ses successeurs – ou presque !- comme Oribase, tomber dans l’oubli en même temps que le latin et le grec. Car si la discipline est redevable à ces médecins historiques de l’invention de ses principes éthiques et déontologiques, elle en est beaucoup moins l’héritière des théories et des techniques que de celles des médecins et chimistes des deux derniers siècles. Par ailleurs, ayant globalement délaissé, parfois dans un grand mépris, les plantes pour la chimie, on les voit mal s’intéresser à des recettes de beauté à base de racine de berce, de bettes, de chou ou de jus de mûres; sans compter les plantes toxiques utilisées dans les recettes qui ne vont pas favoriser la confiance…

Bref, des millénaires plus tard, Cléopâtre, la femme et non moins reine, a encore et toujours le même défaut pour nos contemporains : celui d’avoir été une femme qui n’a pas voulu faire oublier son sexe pour être crédible en politique et qui s’est donc intéressée à la beauté, un des seuls domaines qu’il a toujours été permis aux femmes d’investir, même s’il était déjà décrié.

Malheureusement pour certains, la reine d’Egypte était une femme; et négliger cet aspect, c’est encore négliger une donnée essentielle de sa personnalité, de son histoire et de sa culture. Malgré cela, les femmes fières d’être des femmes cherchant les recettes de beauté de Cléopâtre mais ne voulant que les jolies fleurs et du lait repoussent tout autant la reine d’Egypte telle qu’elle était que les historiens qui ne s’intéressent qu’à la femme politique. Cléopâtre, comme tous les autres individus, ne se compartimente pas, et ne se découpe pas selon notre ligne idéologique et l’image qu’on voudrait avoir d’elle…

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