Cosmétiques de Cléopâtre et tabous

Etudier les vrais cosmétiques de Cléopâtre est à la fois quelque chose de fascinant et de déconcertant. Fascinant parce qu’on ne peut être qu’impressionné par les millénaires qui nous séparent des quelques recettes conservées du Kosmètikon de Cléopâtre comme de celles laissées par d’autres, médecins ou botanistes antiques, et déconcertant parce que justement, après deux millénaires, le fossé culturel qui nous sépare est devenu si immense que ces recettes nous choquent.

A l’ère où pasteurisation, stérilisation, hygiénisme et orthorexie font loi, les droits des animaux émeuvent plus que le sort des hommes, au point que si le propriétaire d’un animal a laissé celui-ci dans des conditions de traitement déplorable à cause de sa santé mentale, physique ou économique défaillante, les médias vont préférer relever la peine de prison avec sursis que la détresse qui l’a conduit là et l’empathie que cela devrait aussi nous inspirer…

Dans un tel contexte, difficile d’être sensible aux vraies recettes de Cléopâtre qui, loin des roses, lait, jasmin, qui font rêver, emploient des fientes et des têtes de souris, des dents de cheval calcinées, de l’urine, de la poussière, les plus vulgaires plantes potagères et des racines dignes des pires potions de sorcière de notre imaginaire collectif.Ce tabou est le plus évident. Mais il en est d’autres plus subtils.

Ceux qui veulent étudier Cléopâtre « sérieusement » vont évidemment le faire d’un point de vue historique et politique. Or, ceux qui ont écrit sur elle étaient ces historiens et poètes romains qui ont subi ou construit  la politique de dénigrement des plus vulgaires destinée à la discréditer. L’histoire, la politique, du point de vue de la recherche, c’est « sérieux », et même s’il faut pour cela consulter des ouvrages d’auteurs qui n’ont pas eu de scrupules quant à la notion d’objectivité à la base des recherches actuelles.

Mais qu’en est-il des cosmétiques ? Les sujets « cosmétiques », « produits de beauté » sont en eux-mêmes toujours dénigrés en terme de culture. En gros, c’est « un truc de bonne femme ! ». Quelle personne « sérieuse » pourrait s’y intéresser à part pour faire de l’argent, créer une industrie – ce qui en effet fonctionne très bien – ? On pensait déjà comme ça à l’époque de Cléopâtre. Le seul intérêt que les chercheurs « sérieux » pourrait leur trouver relève de l’histoire de la chimie. Mais ce n’est pas tous les jours qu’on trouve des produits aussi performants et impressionnants que le khôl égyptien, car pour le reste, on se retrouve toujours face à des recettes atroces qu’on retrouve dans les grimoires anciens de magie et qui nous viennent en réalité de la médecine antique.

La dignité retrouvée des recettes de Cléopâtre pourrait se trouver ici : dans le domaine de la médecine auquel ces recettes appartenaient puisque c’est dans des ouvrages de médecins antiques qu’ont été conservées les seules recettes de Cléopâtre que nous possédons encore. Sauf que, la médecine galénique, de même que la plupart des livres de médecine de l’Antiquité ont été abandonnés il y a déjà quelques siècles malgré une période de redécouverte induite par les médecins arabes qui les avaient conservés et qui nous ont permis de les redécouvrir à la Renaissance. La majorité des oeuvres de Galien croupit désormais, méconnues, dans leur latin d’origine, constituant pourtant, à elles seules, le tiers de ce qui nous reste de la littérature antique. Les autres ouvrages médicaux traduits datent le plus souvent de la Renaissance, époque où les poisons de l’Antiquité passaient encore pour des remèdes et tuaient gentiment les riches coquettes de l’époque qui espéraient accroître leur beauté et les faveurs des rois.

On comprend alors que la médecine d’aujourd’hui n’ait pas envie de se pencher sur cet héritage encombrant et dangereux s’il était laissé à la portée de tous, et qu’elle préfère laisser Galien, ses prédécesseurs comme Hippocrate, et ses successeurs – ou presque !- comme Oribase, tomber dans l’oubli en même temps que le latin et le grec. Car si la discipline est redevable à ces médecins historiques de l’invention de ses principes éthiques et déontologiques, elle en est beaucoup moins l’héritière des théories et des techniques que de celles des médecins et chimistes des deux derniers siècles. Par ailleurs, ayant globalement délaissé, parfois dans un grand mépris, les plantes pour la chimie, on les voit mal s’intéresser à des recettes de beauté à base de racine de berce, de bettes, de chou ou de jus de mûres; sans compter les plantes toxiques utilisées dans les recettes qui ne vont pas favoriser la confiance…

Bref, des millénaires plus tard, Cléopâtre, la femme et non moins reine, a encore et toujours le même défaut pour nos contemporains : celui d’avoir été une femme qui n’a pas voulu faire oublier son sexe pour être crédible en politique et qui s’est donc intéressée à la beauté, un des seuls domaines qu’il a toujours été permis aux femmes d’investir, même s’il était déjà décrié.

Malheureusement pour certains, la reine d’Egypte était une femme; et négliger cet aspect, c’est encore négliger une donnée essentielle de sa personnalité, de son histoire et de sa culture. Malgré cela, les femmes fières d’être des femmes cherchant les recettes de beauté de Cléopâtre mais ne voulant que les jolies fleurs et du lait repoussent tout autant la reine d’Egypte telle qu’elle était que les historiens qui ne s’intéressent qu’à la femme politique. Cléopâtre, comme tous les autres individus, ne se compartimente pas, et ne se découpe pas selon notre ligne idéologique et l’image qu’on voudrait avoir d’elle…

Cet article et cette photo sont la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.

Le khôl de Cléopâtre

Parmi les nombreuses choses – le plus souvent farfelues- qu’on peut lire sur les soins de beauté de Cléopâtre, il y en a une seule qui soit admissible : Cléopâtre portait du khôl.

Les raisons sont en effet nombreuses pour lesquelles la célèbre reine d’Egypte portait certainement ce fard : 

  • En Egypte, hommes, femmes et enfants le portaient déjà depuis des millénaires – on en a trouvé la trace avant la construction des pyramides, précise Philippe Walter, directeur du laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale.
  • Un pays de sable comme l’Egypte nécessitait que sa population en porte pour soigner et protéger ses yeux, sans cesse agressés par de nombreuses maladies. Les chercheurs vont jusqu’à émettre l’hypothèse que la civilisation égyptienne doit peut-être son développement à cette invention qui lui servit de médicament, enlevant les obstacles entre les idées et leur réalisation, qui nécessitait une bonne vision.
  • Les différentes représentations des pharaons les montrent avec les yeux cerclés de noir, ce qui, dans un pays qui l’a inventé, représente beaucoup plus qu’une simple convention picturale.
  • Un des titres de Cléopâtre VII est Philopatris « qui aime sa patrie ». Il paraît difficile de prétendre aimer sa patrie sans porter soi-même une de ses plus brillantes inventions. Certes, ce qu’on appelle le nationalisme n’est pas apparu avant le XIX ème siècle, mais certaines formes voisines existaient déjà. Et, dans l’Egypte de Cléopâtre, où les pharaons à la tête du pays n’étaient plus Egyptiens mais Grecs depuis plusieurs siècles, le sujet était sensible. Plutarque décrit d’ailleurs la dernière reine d’Egypte comme parlant égyptien – contrairement à ses prédécesseurs – et se souciant du pays.

Pourquoi ne peut-on pourtant être assuré de savoir si elle portait du khôl ?

  • Ce qu’il reste du Kosmètikon – le livre de recettes de cosmétiques de Cléopâtre – n’en parle pas. Même si on le retrouvait entièrement, il y a des chances pour qu’aucune recette n’en ait été donnée car le khôl était assez courant, ancien, et presque institutionnel pour qu’on en trouve facilement et fait par des spécialistes depuis des millénaires sans avoir besoin de le préparer soi-même.
  • Les images de Cléopâtre sont rares, incertaines et peu représentatives. Reine appartenant à la fois aux mondes grec et égyptien, les images de Cléopâtre correspondent soit au monde égyptien et elles sont alors trop stéréotypées pour représenter autre chose qu’une pharaonne ou une déesse selon des conventions millénaires, soit grec et figurent surtout sur les monnaies qui ne prennent en compte que les reliefs et non les couleurs. Les rares statues grecques qui existent sont hypothétiques; et même s’il s’agissait de Cléopâtre, aucune statue de l’Antiquité n’a conservé ses couleurs d’origine.

Quel khôl devait porter Cléopâtre ?

  • Elle portait très certainement cet incroyable khôl égyptien que les chercheurs ont retrouvé dans les boîtes à khôl du Louvre et qu’ils ont décrit comme fabriqué à base de laurionite synthétisée dans un long processus décrit par Dioscoride, médecin du I er siècle – et plus rapidement par Pline, qui n’était pas médecin – soit un siècle après la mort de Cléopâtre. Le procédé durait un mois ou plus et, s’il pouvait varier dans sa manière, consistait toujours en purification lente et méthodique dans plusieurs eaux jusqu’à ce que le mélange de litharge et de sel de roche ait cessé d’être nocif.
  • On a parfois parlé de couleur verte ou bleue parmi les couleurs de khôl de Cléopâtre. Le vert a effectivement existé. Fait à partir de malachite, il constitue même certainement le premier khôl créé par les Egyptiens, et les papyrus médicaux comme le Ebers en font effectivement mention. Mais c’était un procédé très ancien, déjà démodé depuis longtemps du temps de Cléopâtre et dont les représentations picturales elles-mêmes conservent à peine la trace. Par ailleurs, aucun texte plus ou moins contemporain de la célèbre reine d’Egypte n’en mentionne ni la technique ni l’usage, ce qui suggère que ce n’était certainement plus employé. Quant au bleu, il est facile de l’associer à tout ce qui est égyptien puisque c’est aussi une couleur que seul ce peuple avait synthétisée et abondamment utilisée dans l’art avant qu’elle tombe dans l’oubli. Une salle du Louvre est même consacrée au bleu d’Egypte, mais rien n’indique que cela ait été employé en maquillage, en tous cas dans les textes des médecins, botanistes et historiens de l’époque. Et quand on retrouve quelques exemples en art, cela semble plutôt être une fantaisie, une originalité plus technique qu’un reflet de la réalité – les Egyptiens semblant d’ailleurs s’être beaucoup plus préoccupé d’art que de réalisme.

 

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Recette antique: khôl aux pétales de rose (DIY)

Voici une authentique recette de khôl antique d’une très grande simplicité et qui va véritablement vous surprendre par son aspect naturel, économique, son efficacité et son innocuité. Elle a été rapportée par Pline l’Ancien :

« La rose est astringente et rafraîchissante. On distingue l’emploi de ses feuilles, de ses fleurs et de ses têtes. (…)On brûle les feuilles pour les fards à paupières. »

Pline l’Ancien. Histoire naturelle. Livre XXI.

Ce qui a été traduit par « feuilles » de rose dans l’édition 2013 de la Pléiade est en réalité traduit par « pétales » dans la plupart des autres versions. J’ai essayé les deux et je peux affirmer que ce qui possède une réelle douceur et un confort digne des fards à paupières les plus agréables, c’est le pétale. Il est donc possible que le terme latin n’ait pas été très clair pour les traducteurs.

Matériel

  • Pétales de roses
  • Bougie
  • Pince à charbon
  • Mortier et pilon 
  • Palette vide
  • boîte à khôl et son bâton applicateur

Marche à suivre

Faites sécher une rose complètement.

Ceci fait, brûlez avec la pince plusieurs pétales ou même toute la rose si vous voulez avoir une réserve et adopter ce khôl.

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La rose brûlée ainsi n’est que pour bien faire comprendre de quoi il s’agit. En réalité, il faut brûler avec la pince, pétale par pétale, car le feu prend mal.

Quand les pétales sont carbonisés, faites-les tomber dans le mortier et écrasez-les sous le pilon. S’il reste des morceaux de pétale qui n’ont pas été brûlés, écartez-les pour ne garder que la poudre noire. Vous pouvez pour cela vous aider d’un tamis si vous le voulez, même si ce n’est pas obligatoire.

Transvasez un peu de votre poudre sur une palette et maquillez-vous tout de suite si vous le souhaitez; sinon, mettez-le dans votre boîte à khôl au moyen d’une petite pointe de couteau ou d’une petite cuillère à cosmétique, qu’on peut trouver par exemple sur Aroma Zone.

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Mortier, pilon, reproduction de palette à fard égyptienne avec la cendre de pétales de rose, boîte à khôl et son bâton applicateur.

Application

Vous pouvez appliquer votre fard au doigt ou au pinceau si vous l’utilisez comme fard à paupières gris anthracite ou bien l’appliquer au bâton à khôl au ras de vos cils pour un effet plus noir, plus intense et plus antique !

 

Voilà, vous venez de découvrir un authentique fard utilisé dans l’Antiquité, facile à faire, peu coûteux et qui vous fera un vrai regard de reine d’Egypte !

Vous ne me croyez pas ?

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Le khôl, mythe et réalité

Le khôl est un produit de maquillage noir en poudre qui possède un très grand pouvoir de fascination dans l’imaginaire collectif et ce pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il est le premier fard connu de l’histoire et que nous y avons été sensibilisés par les oeuvres d’art égyptiennes représentant toujours des gens qui en portaient. D’autre part, en plus d’être esthétique, ce produit de maquillage était aussi un collyre, une préparation médicale destinée à soigner ou à protéger les yeux dans un environnement qui le nécessitait. Yeux agrandis, embellis et soignés en même temps : il n’en fallait pas plus pour impressionner les autres civilisations qui ne l’avaient pas créé.

Mais le khôl inventé par les Egyptiens impressionne aussi les scientifiques d’aujourd’hui car il présente certainement le premier processus chimique dans un but médicinal : la production synthétique de laurionite, dérivée de la galène en réalité très rare dans la nature et qu’ils obtenaient au bout d’un lent processus d’un mois. Or, la galène, composée de plomb, est évidemment toxique sans ce procédé complexe qui lui permet de « perdre toute sa causticité« , selon les termes de Dioscoride, médecin grec qui en a révélé le procédé. La laurionite ainsi synthétisée devient alors non seulement inoffensive, mais de plus protectrice, apte à activer les défenses immunitaires, d’où son emploi dans le khôl devenu beaucoup plus que du simple maquillage et justifiant ainsi son importance dans les papyrus médicaux traitant de maladies oculaires, comme le célèbre Ebers.

Ce premier khôl, impressionnant par la technologie vieille de plus de 4000 ans et pourtant pointue dont il est issu, est un peu l’arbre qui cache la forêt. Dans son article « le khôl, médicament oculaire de l’Antiquité à nos jours », Michel Faure nous explique en effet que le mot khôl a tout autant désigné le collyre noir, la façon de l’appliquer, toutes sortes de collyres secs aux compositions très différentes, mais aussi la galène, l’antimoine et le charbon. De la même façon, selon qu’il est vendu dans un pays où les contrôles sanitaires sont stricts et que la législation interdit l’emploi de substances toxiques tels que la galène et l’antimoine – ingrédients pourtant traditionnels du célèbre fard – le khôl ne désigne pas le même produit dans ses actifs comme dans son innocuité. Ainsi, au Maghreb, en Asie, et au Moyen-Orient, de nombreux khôls contiennent une proportion de plomb qui, parfois non négligeable, provoque souvent des empoisonnements même chez les enfants en bas âge et est devenu une préoccupation de santé publique parmi les communautés héritières de cette tradition.

Car effectivement, mettre du noir sur ses yeux pour les agrandir et faire plus joli comme nous le faisons en Occident, ou en mettre pour soigner ses yeux et éloigner le mauvais oeil, ce n’est pas le même acte culturel. Dans le premier cas, seule une femme qui veut s’embellir en mettra, et dans le second, ce sera toute la famille qui aura, de plus, la fierté d’obéir à la tradition et de faire un acte sanitaire et rituel. Car il faut le reconnaître: le khôl est un produit aussi historique que culte dont n’importe quelle personne serait fière si elle l’avait dans sa culture, comme on est toujours fier du produit national que le monde entier admire et nous envie. Mais c’est aussi ce qui va inciter à la fraude d’un côté et la naïveté de l’autre…

Le plomb, en effet, provoque le saturnisme et hormis la couleur noire, le khôl des anciens Egyptiens semble ne rien avoir de commun avec le khôl d’aujourd’hui qui ne se fait certainement pas en un mois en respectant toutes les étapes rigoureuses pour créer la laurionite de synthèse. Autrement dit, ce qu’on appelle khôl est soit un cosmétique destiné uniquement au maquillage qui peut être soit inoffensif dans un contexte de législation stricte et de contrôle rigoureux, soit potentiellement dangereux par la présence de plomb dans un contexte moins rigoureux. Ou, au contraire, cela désigne l’ancien produit cosmétique des Egyptiens qui savaient soigner et embellir en transformant un métal toxique en un produit soignant et protecteur mais qui n’existe plus. Les uns et les autres ne doivent pas se confondre car hormis la fonction d’un maquillage noir pour les yeux, ils n’ont rien de commun.

Qu’on y réfléchisse dans un contexte de santé publique : d’un point de vue éthique, qui accepterait de risquer d’empoisonner une personne avec du plomb sous le prétexte que, théoriquement, sous forme de laurionite, il devient protecteur ?

Ainsi, le souvenir du vrai khôl égyptien antique nous met face à un dilemme moral qui nous oblige à rester dans les limites de la spéculation et des théories pour les uns, dans la confiance aveugle et dangereuse pour les autres… IMG_6385.JPG

Plus sur ce passionnant sujet :

Le khôl égyptien et médecine traditionnelle

le khôl, médicament et fard oculaire de l’Antiquité à nos jours

( Photo à la Une : Boîtes à khôl des Antiquités égyptiennes du Louvre; boîte à khôl, galène et poudre de khôl contemporains provenant d’Asie et du Moyen-Orient )

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Analyse du khôl égyptien

Voici un court mais intéressant documentaire scientifique qui décrypte les secrets millénaires de fabrication du khôl égyptien, à la fois maquillage et soin aussi complexe à réaliser que très ordinaire à porter.

(Photo à la Une : galène, brillant et toxique minerai de plomb à partir duquel on faisait le khôl dans l’Egypte antique.)

 

Que nous apprennent les recettes de beauté de Cléopâtre ?

Les fragments qui nous restent des recettes de beauté de Cléopâtre sont au nombre d’une vingtaine. Le premier sentiment que ça laisse est que ça fait vraiment peu. C’est la première déception.

La seconde déception, majeure, est que ces recettes sont difficiles voire impossibles à réaliser et à concevoir psychologiquement puisque certains ingrédients comme des têtes de souris mortes et autres excréments de souris, dents de cheval et moelle de cerfs sont particulièrement rebutants. L’utilisation de tels ingrédients n’est pas propre à Cléopâtre : on les retrouve dans d’autres recettes cosmétiques ou médicales de son époque et au-delà puisque des livres de magie plus tardifs en sont pleins. En effet, il ne faut pas oublier que les Anciens ne disposaient à peu de choses près que de leur environnement pour inventer des remèdes. Autrement dit, notre répugnance ne doit pas nous aveugler sur leur créativité et leur volonté de soulager les maux des êtres vivants ( puisqu’ils soignaient aussi les animaux) et trouver des solutions aux différents problèmes posés par l’existence.

La majorité des recettes de Cléopâtre concernent des soins pour les cheveux et des moyens de lutter contre l’alopécie. Ce n’est pas propre à Cléopâtre. Toute l’époque est parcourue de ces préoccupations qui démontrent surtout l’importance de la chevelure dans l’intérêt pour l’esthétique, ce que confirme l’étude de Pierre Brûlé sur la question dans son livre Les sens du poil. Ainsi, le nombre de recettes de Pline destinées à faire repousser les cheveux est impressionnant ! Par ailleurs, d’un médecin à l’autre et même chez Pline, on retrouve certaines recettes déjà mentionnées chez Cléopâtre, et ce jusqu’à la fin de l’Antiquité. D’un auteur et d’un ouvrage à l’autre, il est vrai, les médecins reprennent le travail de ceux qui les ont précédés.

On peut donc en conclure que retrouvant les recettes de Cléopâtre d’un traité à l’autre de médecine, celle-ci n’a rien apporté de neuf sur ces questions. En effet, si les recettes se reprennent d’auteur en auteur, difficile d’en vérifier la provenance. Pourtant, chaque nouvel auteur a bien repris une recette spécifique de Cléopâtre pour enrichir son contenu et prétend même parfois l’avoir utilisée en précisant bien qu’il s’agit d’une recette de la grande reine d’Egypte. Le nombre de recettes conservées sur la question des cheveux et l’absence de la plupart des autres types de recettes semble plutôt démontrer que c’est en matière de soins pour les cheveux que Cléopâtre semble avoir innové aux yeux de ses contemporains et même successeurs, et c’est pourquoi ils ont conservé ses recettes sur le sujet et non les autres. La médecine à Alexandrie était d’ailleurs très novatrice puisqu’elle s’organisait pour la première fois autour de la bibliothèque avec la collaboration de plusieurs médecins mettant en commun, discutant leur savoir, comme l’université aujourd’hui. Les Ptolémée, épris de savoir, avaient donné cette impulsion à la recherche médicale de l’époque et bénéficiaient de ses avancées. Cléopâtre ne fit pas exception.

L’autre point intéressant à soulever est l’authenticité. On s’est longtemps interrogé sur l’authenticité des recettes attribuées à Cléopâtre jusqu’à la découverte en 2007 d’un papyrus attribuant le Kosmètikon, non à Cléopâtre même mais à quelqu’un qui compilait ses recettes. Ayant fait la recette de son nettoyant parfumé, j’en ai acquis la certitude que sa complexité et son luxe démontraient effectivement son caractère royal, ce qui s’est trouvé confirmé par la façon dont on faisait les parfums dans l’Antiquité.

Mais il y a plus. En effet, on retrouve dans le livre d’un médecin de l’Antiquité la recette d’un remède personnel de Ptolémée, le fondateur de la dynastie alexandrine à laquelle appartenait Cléopâtre. Or, sa composition est très proche de celle du parfum et détergent de Cléopâtre, ce qui, au minimum, signifie que les recettes de la dernière reine d’Egypte sont authentiques et que ce parfum qu’elle portait était au moins dynastique, comme je le soupçonnais et l’ai écrit dans mon livre. Mais cela veut dire aussi qu’il y a une adéquation entre les odeurs et les pratiques médicales puisque les ingrédients du parfum de Cléopâtre servaient à soigner son ancêtre et certainement toute la lignée s’étendant du premier au dernier, c’est-à-dire Cléopâtre elle-même. D’un parfum de Cléopâtre, on passe peut-être à un parfum dynastique dont se seraient servi les autres Ptolémée.

Enfin, après avoir lu tout et n’importe quoi sur les soit-disant recettes de Cléopâtre qu’on trouve sur internet et ailleurs, de son supposé démaquillant à l’huile de ricin à son bain au lait d’ânesse en passant par son maquillage, je peux vous affirmer qu’il n’y a rien de tout cela dans les fragments restants du Kosmètikon. Mais voici malgré tout les produits actifs qu’elle utilisait réellement, qui fonctionnent et qu’on emploie toujours : l’argile blanche pour nettoyer les cheveux, l’huile de myrte pour les faire pousser et la noix de galle pour les teindre en noir. Des astuces qui sont surtout connues des femmes africaines ou méditerranéennes, ce qui, on ne va pas se mentir, est quand même assez logique.

Et malheureusement, la plupart des autres ingrédients prétendument utilisés par Cléopâtre ne l’étaient pas.

( Photo à la Une : morceau brut d’argile blanche proche de ce que devait employer Cléopâtre pour laver ses cheveux. )

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Les cuillères à fards

De quelque époque qu’ils puissent être, les objets de la beauté sont nombreux. Certains sont constants, malgré des progrès techniques ayant permis de les améliorer comme les miroirs qu’on reconnaît bien quand on les voit exposés dans les musées même si 4 millénaires nous séparent. Il en est de même pour les peignes, les épingles à cheveux, pinces à épiler et rasoirs.

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D’autres, plus mystérieux, n’ont pas révélé tous leurs secrets. C’est le cas des cuillères à fard qu’on retrouve souvent dans les collections égyptiennes de l’Antiquité et qu’on suppose avoir servi pour les recettes d’onguent ou de khôl. Néanmoins, on n’en a aucune certitude car ces élégants petits objets, souvent en bois, n’ont rien révélé de ce qu’ils contenaient il y a de ça plus de 3000 ans. Pour semer encore plus le trouble, certaines de ces cuillères possèdent un couvercle coulissant évoquant en même temps une boîte, loin finalement de la cuillère telle que nous la connaissons

Cuillère fard 1.

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Par ailleurs, ces beaux objets retrouvés dans des tombes et exposés dans plusieurs musées du monde présentent une grande variété de motifs, parfois inattendus, allant d’hommes ventrus, fleurs de lotus, servantes, roseaux, mais aussi d’animaux, et particulièrement des animaux entravés dont les pattes peuvent être unies et ligotées. Ce motif, aussi récurrent qu’incompréhensible de nos jours, semble avoir une portée symbolique, comme si, finalement, l’acte de se farder consistait à museler cette partie animale de soi-même pour révéler son caractère humain, celui qui le rapproche de la divinité.

En effet, en Egypte ancienne, se maquiller était à la fois un acte médical comme le révèlent les papyrus médicaux et les analyses des principes actifs du khôl, et à la fois un acte mythologique, Horus ayant réparé son oeil arraché et restauré l’équilibre universel par cet acte.

cuillère fard

Mais, bien entendu, sans certitude sur leur fonction, mieux assurée lors de la présence d’une spatule, cette hypothèse n’est que réflexion personnelle et pure spéculation, comme l’est peut-être celle de faire figurer ces mystérieux objets au nombre des accessoires de mise en beauté. IMG_3370

Mais connaissant la place que prenait la beauté et les soins dans l’Egypte antique et la façon dont on réalisait les recettes, et partant du principe que certaines cuillères portent le nom de prestigieuses reines d’Egypte, il y a fort à parier que leur fonction a été correctement attribuée.

( Photos : collection de cuillères à fard du Musée du Louvre.)

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Ingrédients et actifs cosmétiques de l’Antiquité

Les recettes de l’Antiquité emploient majoritairement des ingrédients naturels même si certains peuvent être issus de processus chimiques découverts lors d’analyses du contenu de fioles retrouvées intactes au cours de fouilles archéologiques. C’est le cas avec le khôl égyptien antique, par exemple, dont il est désormais avéré qu’un des composants se retrouve rarement à l’état naturel et qu’il a été chimiquement composé. Dans ces cas-là, il n’y a pas de doute quant à la volonté d’utiliser cet ingrédient plutôt qu’un autre. C’est d’autant plus vrai qu’il est désormais établi que le dérivé du plomb, chimiquement composé et toxique, était ce qui conférait au khôl égyptien son rôle médicinal et protecteur qui lui vaut encore sa réputation.

Mais ce cas est loin d’être majoritaire et d’une manière générale, c’étaient avec des ingrédients naturels de leur environnement direct, combinés ou cuits que les Anciens créaient leurs cosmétiques, parmi lesquels on peut compter les produits issus des animaux, des minéraux ou des végétaux. Un cosmétique antique, c’est en effet bien souvent un cataplasme à base de minéral, d’animal mais plus souvent un végétal, cuit ou cru mêlé à du vin, de l’huile, de l’eau miellée ou du lait. Pour autant, ce n’est pas n’importe quelle huile, ce n’est pas n’importe quel lait, n’importe quel animal ou végétal.

Mais en quoi est-ce dû à une véritable connaissance pratique ?

Les méthodes scientifiques basées sur l’observation, la reproductibilité de phénomènes et tests dans différentes situations pour vérifier un fait sont des méthodes modernes. Pourtant, certains ingrédients, voire produits, continuent d’être utilisés comme dans l’Antiquité. L’exemple le plus célèbre est le cérat de Galien, première cold cream de l’histoire à base d’eau, d’huile et de cire, qu’on continue d’employer et dont la formulation est l’exemple même de l’émulsion classique à la base de toute crème cosmétique. Sa conception remonte pourtant au II ème siècle après J-C.

Même si cet exemple est loin d’être le seul et donne l’impression que les Anciens possédaient une grande compréhension de ce que pouvait être un cosmétique efficace par leurs capacités d’observation et de compréhension auxquelles on doit la création de recettes de beauté qui fonctionnaient vraiment, il est en réalité difficile de distinguer ce qu’ils devaient à ces qualités de ce qu’ils devaient à un fond culturel à l’origine de leurs croyances, souvent erronées. Et la première d’entre elles est la théorie des humeurs sur laquelle se fondait toute la médecine dont les cosmétiques venaient, tout comme les médicaments dans la catégorie de laquelle les recettes de beauté entraient bien souvent.

Ainsi, si pour soigner les problèmes de vue à l’époque de Pline, on donnait des crottes de chèvres ( si, si !) parce qu’on pensait que celles-ci ne souffraient d’aucune affection oculaire grâce leur alimentation, c’est par une logique à peu près semblable qu’on recommandait à ceux qui perdaient leurs cheveux d’appliquer sur leur crâne la galle de l’églantier ( photo à la Une ), très certainement à cause de son apparence chevelue. Pareillement, on donnait de la graisse d’ours dans la même affection, sans doute en raison de son épaisse fourrure. Une logique qu’on conserva longtemps puisqu’au Moyen-Age, on donnait des noix à ceux qui souffraient de maladies du cerveau à cause de leur ressemblance avec celui-ci.

Dans d’autres cas, c’est la culture qui imprégnait le jugement. En médecine, par exemple, l’achillée était connue pour guérir les blessures. Mais on ne peut dire si c’est vraiment Achille – dont la plante porte en effet le nom – qui découvrit la plante comme le raconte Pline puisque Dioscoride, son prédécesseur et inspirateur n’en a pas parlé. Dans le cas qui nous préoccupe, celui des cosmétiques, Pline cite l’hélénium, une herbe attribuée à Hélène et de laquelle, quand on connaît la mythologie et qu’elle est la seule explication du monde, on doit nécessairement s’attendre à ce qu’elle améliore le teint et rende belle, vertus qu’on lui attribuait en effet. Néanmoins, objectivement, ça paraît peut-être exagéré pour une simple espèce de thym…

C’est à cause de tout cela, de ce qui fonctionne dans les produits utilisés dans l’Antiquité et de ce qui est dû à la logique – pas toujours synonyme de vérité pour autant – ou à la culture, toutes deux ayant pu avoir exercé un effet placebo sur ceux convaincus que ces remèdes fonctionnaient, qu’il faut savoir garder l’esprit curieux et attentif sans cesser de tester pour parvenir à établir ce qui peut avoir été effectivement efficace. Une tâche qui s’avère de toute façon d’un grand intérêt.

( Photo à la Une : Bédégar, galle de l’églantier due à un insecte. Image trouvée sur le blog Florémonts consacré à la connaissance des plantes sauvages )

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Qu’est-ce que le parfum dans l’Antiquité ?

Dans Odeurs antiques, leur ouvrage consacré aux textes anciens parlant des odeurs, Lydie Bodiou et Véronique Mehl nous expliquent que dans l’Antiquité, le parfum était bien loin des compositions puissantes et alcoolisées d’aujourd’hui. En effet, l’extraction des huiles essentielles par solvant n’existait pas encore; seuls l’enfleurage – graisse saturée de fleurs pour capturer l’odeur – et l’extraction par expression  – pression des végétaux pour en faire sortir les sucs – existaient . L’Antiquité offrait donc pour parfums des eaux et surtout des huiles consistant, d’après Pline l’Ancien, en « stymna », le suc contenant l’odeur, et « hédysma », le corps, c’est-à-dire l’huile devant la retenir.

« On fait de l’huile avec (…) toutes plantes qu’on fait macérer avec leur suc dans l’huile et qu’on presse. » Pline. Histoire naturelle. XV.28;31

On y trouvait aussi des ingrédients comme du vin, du sel, du miel qui venaient s’ajouter aux plantes odorantes. Les parfums étaient donc légers, à peine odorants, fugaces, à l’inverse de ceux que nous connaissons.

De fait, dans un monde où ce qui est parfum sent à peine, beaucoup de choses peuvent être considérées comme des parfums. C’est le cas notamment des couronnes de fleurs ou d’autres végétaux  qui pouvaient être odorants. La plus connue est celle de lauriers, mais il en existait en réalité beaucoup d’autres qu’on mettait pour toutes occasions spéciales : sur la tête des statues de dieux ou des convives d’une fête, pour les honorer ou pour commémorer un événement.

« Elle s’arrêta près de son père pour lui mettre autour de sa chevelure une belle couronne, jaccha, qui répandait une odeur suave. » Athénée. Livre XV. Les couronnes.

Les parfums antiques, c’étaient aussi l’encens, la myrrhe, la cannelle qu’on faisait brûler pour honorer les dieux, le mot parfum venant de « per fumum », par la fumée. C’est d’abord le cas du Kyphi, encens sacré égyptien consacré au dieu Râ, constitué de 10 à 30 ingrédients selon les recettes et dont les usages, multiples, allaient de l’hommage rendu aux dieux à l’hygiène en passant par la médecine. Dans leurs peintures, d’ailleurs, les anciens Egyptiens ont réussi à ajouter une dimension, un sens à ce qu’ils représentaient en ajoutant des cônes sur la tête de leurs personnages, exprimant ainsi qu’ils étaient parfumés.

En revanche, le parfum n’avait pas d’usage multiple chez les Hébreux où le « Dieu jaloux » faisait confectionner un parfum à brûler dont la composition était fixe et qu’il ne partageait avec nul autre puisque : « Quiconque en fera de semblables pour en respirer l’odeur sera retranché d’entre les siens. » Exode 30-38.

Dans l’Antiquité, les moyens pour capturer le parfum étaient moins développés que le goût qu’on en avait. De ce fait, leurs connaissances de l’odeur de chaque végétal, de sa partie odorante et du moment où elle sentait le plus selon la période de sa cueillette, sa provenance, la température à laquelle il fallait l’exposer étaient précises. Contrairement à nous, leur rapport à l’odeur, au parfum, était direct : il provenait des matières brutes avant de provenir du produit. Dans un monde urbain comme le nôtre, à l’inverse de ce que font les nez et les meilleurs artisans parfumeurs, nous lisons plus facilement qu’il y a de l’iris ou de la myrrhe dans un parfum que nous ne rencontrons réellement ces produits, dont le premier est une racine et le second, une résine.

De cette résine de myrrhe, qu’on fait toujours brûler comme encens, on pouvait faire un parfum : « La myrrhe elle aussi constitue un parfum à elle seule, sans huile. » Pline. Histoire naturelle. XIII. II. Réduite en poudre, elle était appliquée directement sur la peau pour que son odeur ne soit pas atténuée par la présence d’un liant. C’était déjà le parfum de la reine Hatchepsout, en Egypte.

Le parfum sec, constitué d’ingrédients purs réduits en poudre auxquels on ajoutait un siccatif existait dans l’Antiquité sous le nom de « diapasma », nous apprend Pline dans son chapitre sur les parfums. Ils servaient autant à parfumer qu’à lutter contre la sudation. Le parfum qu’il nous reste de Cléopâtre et qui nous a été transmis sous le nom de détergent ressemble à un de ces « diapasmas », un parfum sec plein de ces substances naturellement très odorantes auxquels on a ajouté un desséchant.

Ainsi, bien que je l’aie également fait en parfum huileux parfumé aux huiles essentielles, n’attendez pas du vrai parfum de Cléopâtre qu’il soit liquide ! C’est en réalité une poudre qu’on frottait sur son corps, comme l’étaient les meilleurs parfums, ceux qui avaient toutes chances de sentir un peu plus durablement que les huiles, comme j’ai pu le tester après l’avoir recréé !

(Photo à la Une : parfum détergent en poudre de Cléopâtre reproduit sur la base de la recette antique présenté dans une reproduction de palette à fard de l’Egypte antique )

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L’usage du parfum dans l’Antiquité

Le parfum était quelque chose de très important dans l’Antiquité, à vrai dire aussi important que de nos jours, voire plus. Il servait en effet autant à la séduction qu’il pouvait entrer dans les remèdes puisque beaucoup d’espèces végétales étaient considérées comme ayant des vertus médicinales, à plus fortes raisons si elles étaient odorantes.

« Le parfum à la rose convient au banquet, comme celui à la myrrhe ou au coing. Ce dernier est bon pour l’estomac et pour ceux qui souffrent de léthargie. »

Athénée. Les Deipnosophistes.

Et parce que la médecine de l’époque avait peu de solutions contre les maladies, la simple hygiène faisait partie de la médecine tandis que pour nous, elle n’en est que l’introduction, le préalable obligatoire aux soins, le minimum requis pour espérer une bonne santé. Cette hygiène pouvait être si minutieuse que l’utilisation d’un parfum pour chaque partie du corps était pratiquée, comme le révèlent les textes.

Dans l’Antiquité comme aujourd’hui, le parfum était un des accessoires importants de la séduction, un moyen de marquer une présence ou un instant de manière agréable de façon à frapper un esprit. Ce sont les senteurs de la chambre d’Hélène attendant Pâris qu’Aphrodite a sauvé du champ de batailles et ramené jusqu’à elle lors de la Guerre de Troie, c’est le parfum des fleurs égayant la noce et le banquet. C’est aussi, bien entendu, le parfum des courtisanes qui se distinguent par leur surcroît d’artifices pour séduire et changer les hommes qui les regardent en des hommes qui les désirent, puis qui les payent. Et comme aujourd’hui, mis avant une sortie, c’est l’indice d’un rendez-vous amoureux.Dans l’assemblée des femmes d’Aristophane, Bléphyros demande à sa femme d’où elle revient, la soupçonnant d’adultère. Elle lui propose de vérifier si sa tête sent le parfum.

« Bléphyros : Et quoi ? Une femme ne se fait-elle pas baiser sans parfum ?

Proxagora : Non certes, mon pauvre, pas moi. »

Mais le parfum, c’était avant tout le privilège des élites, et notamment du roi, l’échelle de prix de ces parfums restreignant l’usage de certains produits aux plus hautes classes sociales. C’était le cas des produits exotiques à la base du parfum, qu’on  faisait venir d’Arabie ou d’Inde et qui atteignaient des prix exorbitants créant alors une odeur caractéristique royale. Ainsi, d’après Polybe, Antiochos IV faisait amener ses vases de parfums les plus précieux dans des bains publics auxquels, malgré son statut, il aimait à se rendre. « Vous êtes bien chanceux, vous les rois, d’utiliser de tels parfums et de sentir aussi bon.« , lui dit un homme. Le lendemain, le roi revint et fit verser sur la tête de cet homme « un grand vase du plus précieux parfum appelé stakté« , c’est-à-dire de la myrrhe pure, comme le faisait Hatchepsout, grande pharaone qui, femme, régna seule sur l’Egypte et dont c’était le parfum attitré un millénaire auparavant.

Avec l’évocation des élites, on arrive aux premiers usages du parfum, celui d’honorer les dieux que dans l’Antiquité on distinguait d’ailleurs eux-mêmes non par la vision – puisqu’ils ne peuvent se manifester sous leur vraie forme au risque de nous tuer – mais par la bonne odeur émanant du personnage qui leur servait de couverture ou du lieu qu’ils avaient occupé. C’est une croyance qui a été conservée dans le christianisme puisque la bonne odeur est souvent évoquée dans le cas d’une visite ou de la présence d’un saint ou de Jésus lui-même.

Autrefois comme aujourd’hui, on brûlait les encens pour faire monter le parfum jusqu’aux divinités, habitant des hautes sphères pour qui c’était une offrande au même titre que le fumée s’échappant de la viande sacrificielle dont les hommes mangeaient la chair et les dieux la fumée.

« C’est toi (Liber, nom romain de Dionysos), selon la tradition, qui après la soumission du Gange et de tout l’Orient, as préservé les prémices au grand Jupiter : le premier, tu as offert de la cannelle et de l’encens prélevés sur le butin ainsi que les chairs rôties du boeuf qui a été mené à ton triomphe. »

Ovide. Les Fastes. III.

A ce titre, c’était aussi une manière d’honorer ses invités puisque les parfums égayaient la plupart des fêtes, soit qu’on voulut démontrer son luxe, sa manière raffinée de vivre, soit qu’on obéît à cette vieille coutume conservée dans les pays méditerranéens et orientaux de recevoir ses invités comme s’ils étaient les dieux eux-mêmes.

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