Le brûle-parfum mycénien à l’usage

Après avoir construit le brûle-parfum, l’avoir essayé et noté des hypothèses sur le blog, j’ai malgré tout conscience que sans avoir réussi à entretenir un feu complètement, je n’ai pas éprouvé l’usage réel de cet objet dont la conception date d’il y a plus de 2 millénaires.

Pour m’habituer à l’usage de ce brûle-parfum, je le mets dans des endroits pratiques où je fais brûler mes plantes. Ainsi, je lui donne l’usage banal et usuel qu’il devait avoir lors de sa conception.

Et hier soir, je décide que je vais consacrer des heures à faire brûler durablement des plantes sèches dans cet objet de conception ancienne. Or, ce qui est déjà difficile avec un brûle-parfum ordinaire l’est plus encore avec un brûle-parfum ancien doté de multiples trous et d’un couvercle. Car je comprends bien que l’équilibre qui va se jouer entre attiser le feu avec l’air libre et le réduire avec le couvercle ne va pas être une mince affaire !

Par chance, la façon de faire prendre un feu depuis l’époque du brûle-parfum mycénien n’a pas changé, et comme de juste, j’essaie de brûler le sommet de mon tas de plantes coupées. Et je souffle dessus pour essayer de faire prendre le feu plus en profondeur. Honnêtement, je galère !

Quand je crois tenir quelque chose, je remets le couvercle et je souffle par les trous sur les côtés. Je galère, mais c’est assez courant quand on veut faire prendre le feu à des plantes sèches : en fonction de la légèreté de la plante, sa constitution, son humidité et la répartition de l’air, il est plus ou moins facile de l’enflammer.

Pour plus de commodité, je la tiens entre mes mains, ma bouche collée aux trous du brûleur et je souffle pour faire prendre le feu de l’intérieur, comme ça semble prévu. Je comprends vite que comme avec un soufflet, il ne faut pas s’arrêter au risque de voir le faible feu s’éteindre rapidement. Je passe donc mon temps à souffler dans les trous et inspirer pour reprendre mon souffle. Mais dès lors que je souffle sur les herbes, la fumée s’échappe et c’est elle que j’inspire à chaque fois, si bien que je finis par en ressentir les effets…

Le Labo de Cléopâtre, projet de recherche d’abord et boutique ensuite autour des parfums historiques et traditionnels, ne manque jamais de pratiquer des fumigations de toutes sortes, époques et civilisations pour pouvoir les étudier et vous les proposer sous forme de connaissances via le blog, ou produits à découvrir sur la boutique.

Ce soir-là, j’ai choisi ma plante préférée – comme sûrement la plante préférée de beaucoup de stressés – la damiana. Parmi ses bienfaits, on compte la détente aussi bien physique que psychologique, l’amélioration de la qualité de sommeil, et même de l’activité onirique.

Damiana sèche coupée

Mais elle est capricieuse, et comme ça fait longtemps que je la pratique, elle a tendance à avoir moins d’effets sur moi. Sauf que ce soir, la bouche et le nez pris en sandwich entre les plantes sur lesquelles je souffle et leur fumée que j’aspire directement sans perte dans l’atmosphère comme cela arrive habituellement, la détente se fait soudain rapidement sentir.

Au final, contrairement à d’habitude, je me couche tôt, je dors tout de suite et longtemps, et je fais plein de rêves. Connaissant cette plante depuis longtemps, je peux l’affirmer : les effets de ce soir-là sont ceux qu’on obtient dans les conditions les plus favorables, mais elles sont loin d’être assurées à chaque fois. Là, j’ai l’impression d’avoir retrouvé tout le pouvoir de ma plante préférée !

Est-ce pour autant que l’usage en était réellement celui-là ? Rien ne permet bien sûr de l’affirmer mais obtenir un résultat tel que celui-ci incite à réfléchir. Après, on ne peut oublier que bien que le brûleur original du musée d’Athènes soit d’assez petite taille, celui que j’ai créé selon les mêmes principes n’est pas forcément aux mêmes dimensions puisqu’elles me sont inconnues.

Néanmoins , sur cette base de fumigation optimisée, l’hypothèse de l’usage médicinal devient de plus en plus probable, mais il peut très bien s’être agi d’un rituel communautaire, comme il en existe chez les Amérindiens, et qui consisterait à partager la fumée de la plante sacrée ou bienfaisante en soufflant chacun son tour dans le brûleur…Qui sait ?

En ce sens, mon essai avec la damiana est très adaptée car je connais bien cette plante, que j’en connais les effets et que je sais distinguer des meilleurs effets des plus modestes. Mais en même temps, elle n’est pas réellement adaptée car c’est une plante qui pousse en Amérique et qui ne peut donc avoir été connue et utilisée par les Mycéniens. Il s’agissait forcément de plantes européennes, voire, c’est très possible, d’une seule plante dont on utilisait les effets pour une raison médicinale, religieuse ou sociale, etc…

Au final, étant parvenue à maintenir un feu à partir du système de mon brûleur mycénien, et ayant eu des effets dont je reconnais la valeur sans pour autant savoir si c’était la destination de cet objet, je pense poursuivre l’aventure en utilisant cette fois des plantes européennes connues depuis fort longtemps de la civilisation grecque. D’emblée, je pense à l’armoise et à l’absinthe qui ont la faculté de provoquer des rêves, mais on pourrait aussi penser au tussilage, que les Anciens utilisaient déjà pour calmer la toux, et qu’on emploie toujours pour cet usage.

Bien sûr, il n’y aura sûrement pas de certitudes puisque aucun texte ancien ne mentionne cet objet ni l’usage qu’on pouvait en faire. Néanmoins, le voyage de cette aventure humaine est passionnant et sa valeur réside dans le simple fait de l’accomplir pour tenter d’obtenir de petites réponses et de petites lumières.

PS : concernant le couvercle qui ne laisse pas passer les herbes enflammées, je révise mon jugement : si je souffle suffisamment fort, les feuilles passent par les trous et brûlent ce qu’elles touchent – j’ai d’ailleurs une cloque de brûlure au-dessus de la lèvre -.

Je crois donc de plus en plus à une technique d’optimisation de la fumigation pour tirer le plus grand effet des plantes qu’on fait brûler, quel que soit l’objectif pour lequel on les fait brûler.

Affaire à suivre…

Cet article et photos sont la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.

Vidéo : utilisation du brûle-parfum mycénien

Le brûle-parfum mycénien en action, quand le feu prend sur les herbes.

Dans cette vidéo, on ne me voit pas souffler au travers des trous – en quoi consiste peut-être l’innovation de cet objet – mais on voit quand même la sortie de la fumée à travers les trous nombreux du couvercle.

Comme on peut le voir, le dégagement de fumée est lent et doux, contrairement à celui qu’on peut voir sur des systèmes ne comprenant pas de couvercles troués.

On a quelque chose de ressemblant avec les lampes Merlin qui diffusent le cade qu’on brûle toujours dans le sud de la France; à ces différences près qu’il y a beaucoup moins de trous, qu’il est inutile de souffler dessus, que le bois odorant se présente en poudre, et sous la forme d’une pyramide qu’on réalise grâce à un moule. Grâce à ça, le feu brûle sans discontinuer et l’odeur se diffuse doucement : c’est plus efficace, mais plus de 3000 ans se sont écoulés depuis l’époque de notre premier brûleur…

Fumigation du cade avec la lampe Merlin.
(Le papier d’aluminium me permet de protéger les parois du goudron.)

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Reconstitution d’un brûle-parfum mycénien

Ayant cherché dans ma galerie des photos d’Athènes que j’avais visité en 2018, je suis tombée sur des objets historiques que j’avais photographiés au musée archéologique. Comme c’est toujours un plaisir, je prends du temps pour les regarder, et là, un petit brûle-parfum en terre cuite m’intrigue par sa construction. Il est fermé, il a une rangée de trous réguliers sur la partie chaudron et plein de petits trous plus rapprochés sur le couvercle.

Je me demande immédiatement pourquoi, sachant bien sûr que ce n’est pas le fruit du hasard, mais certainement d’une science qui m’échappe mais dont je ne doute pas car je connais bien les Anciens.

Le brûle-parfum a été photographié dans la toute première partie du musée, c’est-à-dire la plus ancienne, celle du Néolithique, des civilisations mycénienne et cycladique. Je n’ai pas photographié la référence exacte mais on est plus ou moins vers 1200 avant J-C, l’âge du Bronze où on situe l’action de l’Iliade.

Photo personnelle, musée archéologique d’Athènes.

Comme j’ai l’habitude de travailler l’argile pour différents objets de la boutique, je me dis que si je veux trouver des réponses à mes questions, je dois refaire l’objet, d’abord parce que je ne pourrai jamais l’observer de plus près sans ça et surtout car c’est à l’usage que nous comprenons les choses le plus souvent. C’est évidemment plus simple quand on possède la connaissance du domaine d’action de l’objet : ici, l’encens ! Ce serait dommage de ne pas essayer.

Je décide d’un protocole très clair : je ne suis pas là pour reproduire un bel objet du musée archéologique d’Athènes pour que tout le monde s’émerveille de ma belle réalisation, mais pour trouver des réponses possibles à la question de la disposition particulière des trous sur ce brûle-parfum. Donc, du moment que je garde la structure des 3 pieds, du chaudron troué légèrement sphérique, du couvercle très troué et de l’anneau, peu importe sa beauté, il sera fonctionnel et donc en mesure, peut-être, de me révéler son secret…

Au bout de plusieurs heures de travail de l’argile que je ne détaillerai pas, j’obtiens ça. Il n’est pas aussi beau que celui du musée, évidemment mais ce n’est pas ce que je vise. Son fonctionnement sera identique puisque les règles de sa structure ont été respectées.

Choses certaines : c’était un brûle-parfum de la période mycénienne trouvée dans une tombe. Cette civilisation grecque très avancée ne connaissait pas les résines lointaines dont le commerce s’établira bien plus tard. Ce qu’on fait brûler dans ce brûleur c’est donc très certainement des plantes locales aromatiques. Ça tombe bien : la Grèce en est bien dotée, même actuellement, et notamment par son relief montagneux très favorable aux plantes sauvages qui y acquièrent plus de force en odeur et en goût, comme ça a été démontré partout dans le monde. De fait, en Grèce et en Crète, on trouve des variétés de thym, menthe et origan qui ressemblent à ceux que nous connaissons mais avec bien plus de puissance aromatique.

Néanmoins, je n’ai pas besoin non plus de plantes grecques ou crétoises pour comprendre comment mon brûleur fonctionne. Je prends une boite de thym et j’en remplis le ventre du chaudron en veillant à ne pas boucher les trous sur lesquels je me pose des questions. Finalement, j’ai pris une boite d’origan et non de thym comme je le croyais : tant mieux car il est bien plus utilisé dans la Grèce d’autrefois – et aujourd’hui aussi, d’ailleurs.

Départ de feu dans le brùleur mycénien reconstitué.

Je mets le feu à mon petit tas de plantes.

Je me suis longtemps interrogée sur ce feu : le faisait-on directement ? mettait-on une braise ? Finalement, je pense que ce n’est pas important dans le contexte de mon brûle-parfum. Dans les temps anciens de la Grèce, le feu se prenait surtout d’une première source qui le possédait. Le mythe de Prométhée raconte justement le vol du feu aux dieux qui permit l’affranchissement des Hommes. Une tradition très importante dans le monde gréco-romain autour des déesses Hestia et Vesta, mais aussi dans le cadre domestique où on veillait à laisser brûler une flamme qu’on emportait en voyage. Un foyer est ainsi un feu collectif partagé par une famille : le symbole et l’appellation sont ainsi restés. Un exemple toujours vivant et très médiatisé reste le passage de la flamme olympique…

Je mets donc le feu et je regarde ce qu’il se passe. Il ne se passe pas grand-chose. Une fois pris, la fumée sort par les trous du couvercle, mais globalement, malgré les trous qui laissent penser que le chaudron est bien ventilé pour permettre une circulation d’air suffisante pour une bonne propagation du feu, ce n’est pas vraiment ce qui se passe. De fait, il faut souvent le rallumer, le retourner pour qu’il accepte de repartir.

Finalement, je ne suis pas sûre de comprendre l’intérêt ou le fonctionnement de cet objet. Sauf que…

La fumigation, j’ai déjà bien pratiqué. Sans aide, les herbes ne prennent pas si facilement et il faut souffler dessus. Mais souffler dessus quand elles sont enflammées, c’est toujours un risque car les herbes sont légères et s’envolent facilement. Le risque de mettre le feu est grand, donc on s’y prend toujours avec une grande prudence.

Le feu ne prenant pas vite, j’ai envie de souffler comme je fais avec. Mais le couvercle est fermé. Oui, mais les trous sur les côtés laissent passer l’air…

Je m’approche des trous du chaudron et je souffle. L’odeur redouble, la fumée sortant du couvercle aussi. Et si c’était ça ?

Je n’y aurais jamais pensé et j’aurais continué à souffler sur le tas de plantes légèrement enflammé pour le faire prendre. Mais prudemment, très prudemment ! Mais avec un tel système, pas besoin de prudence : le brûleur s’en charge. En soufflant au niveau des trous vers l’intérieur, je donne au feu des chances de prendre sans donner aux plantes de chances de s’envoler et mettre le feu par accident.

Bien évidemment, je n’ai pas l’habitude : il m’a fallu plusieurs fois remuer les plantes après ouverture du couvercle pour alimenter le feu en oxygène dont il avait besoin pour prendre. Mais nul doute qu’avec de l’habitude et de la technique, l’utilisation gagne en efficacité et l’objet révèle son vrai potentiel, même si alimenter un feu de plantes aromatiques sans risques d’incendie est déjà d’une utilité non négligeable.

Pour autant, le couvercle joue aussi un rôle fondamental. En restreignant l’alimentation en air, il permet de réduire la force du feu et rallonge ainsi le temps de combustion des plantes et les empêche ainsi de brûler trop rapidement.

Ainsi régulé et contrôlé, le feu brûle les plantes doucement au gré des régulations humaines par le souffle, et les plantes aromatiques diffusent alors leur parfum pendant bien plus longtemps que si elles brulaient à l’air libre.

Sans en avoir bien sûr de certitude, je pense que ce petit objet intelligent – par sa conception minutieuse et très bien pensée pour une fumigation contrôlée – peut très bien avoir été d’un usage médicinal.

En tout cas, ne dites jamais en ma présence que les gens des sociétés anciennes manquaient d’intelligence !

Erratum : si je me mélange entre mycénienne et minoenne, on ne va pas s’en sortir ! Désolée pour les premiers lecteurs ! Heureusement que les doutes donnent des insomnies !

Cet article et photos sont la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.

Flacons du musée archéologique d’Athènes

Au musée archéologique d’Athènes, il n’est pas difficile de trouver des flacons de parfum de l’Antiquité, et ce pour plusieurs raisons, à  la fois pratiques et culturelles. La première, c’est que c’est un petit objet qu’on pouvait facilement glisser dans une tombe, et c’est d’ailleurs de cette manière là qu’on les a retrouvés. La seconde, c’est que c’est un objet qui contenait un liquide qui avait paru précieux à celui qui l’emportait dans la tombe et qui lui semblait mériter de l’accompagner, le dernier, c’est que le parfum était aussi utilisé dans le rituel à prodiguer au mort, ce qui va justifier sa sur-présence.

En effet, parmi les différentes raisons du commerce du parfum sur l’Agora, séduire, prendre soin de son corps et rendre les derniers hommages à un défunt se côtoient sur un pied d’égalité d’usage, le parfum accompagnant les Athéniens dans toutes les étapes profanes ou sacrées de leur vie. Une particularité qui s’arrêtera après  l’Antiquité pour ne renaître que très tardivement, à l’époque moderne – le parfum ayant perdu, avec le Christianisme, la valeur positive qu’on lui attribuait.

Au niveau de la taille, les flacons de type petit abalastre ou d’autres types sont très nombreux. Cela s’explique notamment par la technique de fabrication qui demande beaucoup de matière première pour donner quelque chose de très parfumé et donc une réduction pour parvenir à un produit vraiment odorant. C’est aussi mon expérience en atelier où je reproduis ces parfums selon les mêmes techniques.

Ils ont des couleurs, des formes, des motifs, des matériaux d’une grande variété, témoignant de techniques et de cultures différentes de la nôtre, même s’il reste possible de formuler quelques hypothèses par rapport à ce qui est connu de l’histoire des parfums et de leur usage.

Ainsi, on imagine volontiers les formes de pied, d’hommes barbus, d’africains et autres personnages masculins comme étant des flacons ayant appartenu à des hommes, ceux représentant des motifs plus délicats ou ornés de scènes de coquetterie assumées par des femmes comme ayant appartenu naturellement à des femmes ou des jeunes filles. Ceux présentant des scènes cultuelles peuvent avoir été spécialement consacrés à la toilette des morts comme l’Iliade nous raconte qu’Aphrodite oignait le corps de Patrocle d’une huile de rose pour le protéger de la dégradation que lui infligeait Hector en le traînant chaque jour derrière son char.

Après, le reste paraît bien mystérieux, tant un symbole, déconnecté de son contexte, perd de sa signification. Pourquoi ces Africains ? Ces hommes barbus ? Qui sont ces figures cornues et ces personnages assis ou debout qui peuvent très bien être mythologiques ?

Reste le miracle qui a voulu qu’un objet de plus de 2000 ans rencontre nos yeux et nous raconte une petite histoire qui demeure mystérieuse sur les parfums, mais qui en révèle quand même plus que si nous n’avions rien. Petit miracle à quoi s’ajoute la finesse et la valeur du travail qui a perduré jusqu’à nous émerveiller aujourd’hui.

Les parfums huileux et antique du Labo de Cléopâtre

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