La reconstitution de médicaments et soins anciens est aux fondements du projet du Labo. En effet, bien qu’au Marché de l’histoire, quelques visiteurs mauvaises langues fassent parfois le trait d’esprit qu’évoquer Cléopâtre dans le nom de sa boutique sonne plutôt racoleur, ceux qui connaissent le blog et le projet savent que ça n’est pas gratuit puisque ma première reconstitution – par où tout a commencé – était celle d’un nettoyant issu du livre de Cléopâtre et repris par Aetius d’Amide, médecin de l’Antiquité.
Quelle était la distinction entre parfums pour parfumer et parfums pour soigner dans l’Antiquité ? À présent qu’aucun livre de parfumeur n’a été retrouvé et que les livres consacrés aux cosmétiques ont également tous disparu, il est difficile de le savoir. Mais dans le livre de Galien sur les remèdes, Méthodes de traitement, on peut voir le médecin de Pergame recommander l’utilisation d’un parfum ordinaire de parfumeur de son époque. Donc, malgré le mépris affiché des médecins anciens pour le travail de parfumeur, il y a de fortes chances que les formules n’aient pas beaucoup différé et que la distinction n’ait été que celle de la « noblesse d’intentions».

L’idée de refaire des médicaments anciens a germé très tôt dans mon esprit parce qu’en cherchant des recettes variées de kyphis – puisqu’il en existe plusieurs depuis l’Egypte ancienne – j’étais tombée sur un ouvrage français de pharmacopée du XVIII ème siècle qui m’en avait fourni une et permis de la ressusciter. Pour autant, c’était une recette plus ancienne que les médecins avaient pris soin de conserver et transmettre aussi longtemps qu’ils en avaient eu l’utilité.
Mais ce n’était pas la seule des recettes de fumigations médicinales que je pouvais avoir envie de refaire et les recettes précises de médicaments me sont apparues comme une mine d’or pour l’exploration des senteurs et remèdes anciens. Je me suis donc procuré l’ouvrage entier pour l’avoir toujours sous la main et pour pouvoir l’étudier.
Je l’ai donc parcouru à la recherche de ce qu’il était possible de faire, car effectivement, ce n’est pas une mince affaire ! Envisager une recette de médicament ancien – eux, ils disaient drogue – est en réalité affaire de circonstances favorables et de conditions précises que je m’impose à moi-même ou qui me sont imposées par les simples conditions de sécurité et de bon sens :
- Je ne manipule pas de matières chimiques que je ne maîtrise pas ou que je soupçonne d’être dangereuses.
- Je n’envisage pas de sacrifier un chiot, un pigeon ou un serpent même pour un remède très populaire autrefois.
- Je peux obtenir ou je possède déjà toutes les matières premières nécessaires à la recette.
- Je suis capable de recréer les situations de réalisation.
- Je ne réalise les recettes que si je peux les reproduire à 100%. Si j’opère un changement que j’ai jugé nécessaire et possible, je mentionne lequel et pourquoi c’est pertinent.
- Je m’autorise des écarts sans importance créés par la modernité (j’utilise parfois l’électricité et mon eau de source peut parfois couler du robinet)

Une fois ceci posé, je coche les recettes qui sont réalisables selon ce cahier des charges et je les laisse infuser dans mon esprit pendant des mois. Car qui dit médicament ancien dit arrière-plan très riche de culture implicite à laquelle nous n’avons plus accès : théories médicales anciennes et toutes relatives à leur époque, procédés, gestes, croyances qui nous sont complètement étrangers. Il faut aussi s’habituer aux exigences des étapes, si on les a bien comprises et si on peut les suivre. Enfin, le dernier point et pas des moindres est celui des poids et mesures anciens qu’il faut transposer, voire conserver en l’état pour obtenir une information de plus.

C’est le cas de la poudre de Diospoli, un médicament dont la recette a été donnée par Galien et qui subsiste, inchangée, au XVIII ème siècle. Inchangée parce que l’apothicaire du XVIII ème siècle l’a trouvée parfaite ainsi et n’a de ce fait pas voulu y toucher. Mais il n’est pas rare que les auteurs d’ouvrages de pharmacopée notent la recette de base, puis en proposent une version réformée pour y apporter des améliorations qui leur semblent utiles à présent qu’ils pensent avoir avancé en connaissances.
J’ai suivi les étages de la recette, mais contrairement à d’habitude, j’ai aussi suivi les proportions données. D’habitude, ayant affaire à des proportions industrielles – pour le cas des parfums de parfumeurs – il n’est pas possible de les reproduire puisque ces cosmétiques ont désormais changé de statut : de produits à la mode et de grande consommation autrefois, ils sont passés à l’état de curiosités, reconstitutions historiques artisanales dans un but de connaissances.
Suivre fidèlement les proportions de la recette, en plus de ses ingrédients et ses étapes permet de se faire une idée précise de la quantité qu’on en gardait en officine pour satisfaire à la demande d’autrefois.

Néanmoins, les médicaments anciens ne sont pas seulement difficiles à réaliser, ils sont aussi délicats à manier. J’ai failli renoncer à les faire, me disant qu’au minimum, ils ne seraient pas achetés, et au maximum, qu’ils pouvaient tomber dans de mauvaises mains ! Mais fournissant régulièrement des produits à une association de médecins enseignant l’histoire de la médecine lors de reconstitutions costumées, j’ai eu l’idée de leur proposer de reconstituer quelques médicaments pour également faire progresser les savoir. Tandis que j’ai l’habitude de réaliser des recettes médicinales anciennes, eux savent quand et dans quel contexte on employait le produit fini. Donc, ce que j’ai à proposer tombera dans les meilleures mains possibles, et les médicaments ressuscités retrouveront une raison d’être sans corruption possible.
Bien évidemment, c’est moi qui choisis les recettes que je peux faire et quand je peux les faire, mais à part ça, je compte bien explorer â mon rythme ce domaine, sachant qu’entre le moment où j’en découvre une de réalisable et que je la réalise effectivement, il peut bien se passer entre plusieurs mois et plusieurs années !
Néanmoins, ce que j’ai fait une fois, je peux plus aisément le refaire, donc, si vous êtes une association d’histoire de la médecine reconnue, que vous êtes intéressés par des médicaments reproduits à 100% et qu’on peut enfin appréhender par les sens dans l’état de fraîcheur qu’ils devaient avoir quand on les utilisait, vous pouvez me contacter sur la boîte mail du Labo de Cléopâtre pour qu’on en discute – à condition que ce soit dans un but de connaissances.
Vous pouvez aussi me rencontrer au marché de l’histoire de Compiègne et venir voir et sentir les médicaments que je réserve à Scalpel et Matula, s’ils ne les ont déjà emportés.
En attendant, je compte mettre sur le blog des articles catalogues des médicaments déjà réalisés, leur fonction, et l’époque où on les utilisait.
- Poudre dentifrice orientale – 1878 M. Pradal. Nouveau manuel du parfumeur.

- Poudre de Diospoli. 1763. Pharmacopée universelle de Lemery mais recette de Galien. « Pour abattre les vapeurs, les coliques venteuses et susciter les mois aux femmes.

Cet article et photos sont la propriété du site Le labo de Cléopâtre. Il est interdit de les reproduire sans l’autorisation de leur auteur.
Génial! 🤩
Bravo pour cette reconstitution qui va arriver dans les bonnes mains!
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