L’usage vivant et magique du parfum dans le Hoodoo

Le Hoodoo est un ensemble de pratiques magiques et spirituelles développé en Louisiane à l’époque de l’esclavage. De racines d’abord exclusivement africaines, il s’est enrichi et métissé au cours de son évolution des apports culturels des autres populations pauvres et ostracisées au même titre que les anciens esclaves – amérindiens, descendants de français qui n’avaient pas les moyens de rentrer en France quand Napoléon a vendu la Louisiane aux États-Unis en 1803.

La société louisianaise, très métissée comme il est peu arrivé dans l’histoire, est composée de descendants des premiers colons français, anciens esclaves d’Afrique, population amérindienne première et d’autres, arrivés là à la faveur des migrations et des aléas historiques.

Parmi ces spécificités, les pratiques magiques des anciens esclaves, conçues comme des actions de résistance et d’entraide parmi une population opprimée. Il serait long et inapproprié de décrire ici les principes spirituels du Hoodoo qui a de profondes racines et une riche histoire tout en ayant gagné le statut de véritable culture aux États-Unis et fait l’objet d’études à l’université.

Je vous propose plus simplement de découvrir son rapport aux parfums et produits de toilette – vrais sujet du blog – pour vous faire une idée de son système culturel et de sa richesse folklorique.

En effet, le nombre de recettes d’encens et de parfums divers et variés ne semble pas avoir de limites ! Une pratique plutôt généralisée dans les Antilles puisqu’on la retrouve régulièrement sous forme de lotions à visée spirituelle et magique portant le nom d’un saint ou d’une intention plus directe. Ses racines paraissent être africaines, les parfums connus aux noms évocateurs y étant souvent utilisés pour concevoir des encens à buts spirituels et magiques dans plusieurs sociétés africaines et maghrébines. Des pratiques identiques mais encore plus spécifiques existent là où est pratiquée la polygamie : dans un monde très axé sur la concurrence sexuelle pour s’attacher un homme, les encens et parfums – qui sont l’affaire des femmes – jouent un rôle de premier plan.

Héritier des cultures africaines, le Hoodoo conserve cette tradition des encens et parfums pour le désir, pour séduire, rendre amoureux..Mais tout cela au milieu des autres objectifs infinis que peut projeter l’âme humaine comme la chance, la purification, la richesse, etc..

Encens Hoodoo à but magique .

Une autre pratique à la fois ancienne et moderne très intéressante du Hoodoo est celle des bains, qui trouve ses racines dans les bains rituels et de purification, notamment du judaïsme. Les produits de bain à visée spirituelle en même temps qu’hygiénique rejoint particulièrement des idéaux modernes qui associent depuis fort longtemps les soins de propreté du corps avec des désirs de propreté de l’âme. Produits de bain, savons, nettoyants pour la maison à but spirituel en même temps existent dans le Hoodoo, accompagnant au quotidien les objectifs et les rêves d’une vie. Un judicieux mélange dans une société vivant à un rythme effréné et qui n’a pas toujours de temps à accorder à la réalisation de ses rêves ou la visée de nouveaux projets.

Bain purifiant après travaux spirituels

Les ingrédients utilisés dans ces produits sont étonnamment bien choisis et les recettes sont sûres et précises. C’est du moins ce qui ressort des ouvrages donnant des recettes utilisées dans le Hoodoo mais qui est parfois contesté par les professionnels du commerce : pour faire de l’argent – du moins aux US – beaucoup se contentent de colorer du talc et de le vendre comme un produit magique. C’est dommage, car la tradition, belle et authentique, remonte parfois très loin dans le temps…

Et parce que le Hoodoo est né d’une culture très métissée, on y trouve aussi des classiques de la médecine française des XVIII-XIX ème siècles toujours utilisés comme le Vinaigre des 4 voleurs ou le baume du Commandeur, célèbres en leur temps. Présentes dans la pharmacopée ancienne d’Europe, ces préparations sont toujours utilisées dans le Hoodoo, non comme des curiosité du temps passé mais comme des produits toujours actifs et puissants.

Vinaigre des 4 voleurs

Enfin, le Hoodoo, c’est aussi une très grande utilisation de parfums. Mais un peu comme ce qu’on a pu voir précédemment, les parfums employés le sont à la manière d’une capsule temporelle. Ici, pas de parfums à la mode : les noms de Cologne diverses et de Jockey Club – stars de la parfumerie du XIX ème siècle de France et des Etats-Unis – règnent en maîtres parmi les livres de recettes de parfums pour la chance, la protection, l’amour.

L’eau de Floride, trouvable dans tous les magasins spirituels.

La très grande star, pourtant, c’est l’Eau de Floride de Murray et Lanman, une formule de 1808 très populaire aux États-Unis tout au long du XIX ème siècle et dont l’utilisation dans le domaine spirituel est largement répandue également sur le reste du continent. On lui prête de multiples vertus, tant spirituelles que médicinales, et ses champs d’action semblent couvrir un vaste domaine d’applications possibles : piqûres d’insectes, migraines, désinfection des petites plaies, rafraîchissement, hygiène, etc..

Cette polyvalence l’a certainement rendue célèbre et durable dans la conscience populaire. Au moment de son apparition, l’eau de Cologne était d’ailleurs vantée dans les revues médicales pour les mêmes propriétés qui semblaient infinies, au point qu’on en mettait même dans la soupe !

Texte médical sur les merveilleuses vertus de l’Eau de Cologne.

Enfin, loin des marques à la mode, l’univers du Hoodoo nous transporte notamment dans l’histoire de la parfumerie française de L.T Piver, toujours active mais surtout dans le domaine spirituel où Rêve d’Or et Pompeia, Héliotrope blanc gardent l’aura populaire qu’ils avaient autrefois en aidant l’utilisateur à réaliser les rêves dont ils sont porteurs par leur nom, leur odeur…Un rôle qu’ils ont toujours eu avant le grand triomphe idéologique de la science.

L.T Piver. Lotion Pompeia

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Le brûle-parfum mycénien à l’usage

Après avoir construit le brûle-parfum, l’avoir essayé et noté des hypothèses sur le blog, j’ai malgré tout conscience que sans avoir réussi à entretenir un feu complètement, je n’ai pas éprouvé l’usage réel de cet objet dont la conception date d’il y a plus de 2 millénaires.

Pour m’habituer à l’usage de ce brûle-parfum, je le mets dans des endroits pratiques où je fais brûler mes plantes. Ainsi, je lui donne l’usage banal et usuel qu’il devait avoir lors de sa conception.

Et hier soir, je décide que je vais consacrer des heures à faire brûler durablement des plantes sèches dans cet objet de conception ancienne. Or, ce qui est déjà difficile avec un brûle-parfum ordinaire l’est plus encore avec un brûle-parfum ancien doté de multiples trous et d’un couvercle. Car je comprends bien que l’équilibre qui va se jouer entre attiser le feu avec l’air libre et le réduire avec le couvercle ne va pas être une mince affaire !

Par chance, la façon de faire prendre un feu depuis l’époque du brûle-parfum mycénien n’a pas changé, et comme de juste, j’essaie de brûler le sommet de mon tas de plantes coupées. Et je souffle dessus pour essayer de faire prendre le feu plus en profondeur. Honnêtement, je galère !

Quand je crois tenir quelque chose, je remets le couvercle et je souffle par les trous sur les côtés. Je galère, mais c’est assez courant quand on veut faire prendre le feu à des plantes sèches : en fonction de la légèreté de la plante, sa constitution, son humidité et la répartition de l’air, il est plus ou moins facile de l’enflammer.

Pour plus de commodité, je la tiens entre mes mains, ma bouche collée aux trous du brûleur et je souffle pour faire prendre le feu de l’intérieur, comme ça semble prévu. Je comprends vite que comme avec un soufflet, il ne faut pas s’arrêter au risque de voir le faible feu s’éteindre rapidement. Je passe donc mon temps à souffler dans les trous et inspirer pour reprendre mon souffle. Mais dès lors que je souffle sur les herbes, la fumée s’échappe et c’est elle que j’inspire à chaque fois, si bien que je finis par en ressentir les effets…

Le Labo de Cléopâtre, projet de recherche d’abord et boutique ensuite autour des parfums historiques et traditionnels, ne manque jamais de pratiquer des fumigations de toutes sortes, époques et civilisations pour pouvoir les étudier et vous les proposer sous forme de connaissances via le blog, ou produits à découvrir sur la boutique.

Ce soir-là, j’ai choisi ma plante préférée – comme sûrement la plante préférée de beaucoup de stressés – la damiana. Parmi ses bienfaits, on compte la détente aussi bien physique que psychologique, l’amélioration de la qualité de sommeil, et même de l’activité onirique.

Damiana sèche coupée

Mais elle est capricieuse, et comme ça fait longtemps que je la pratique, elle a tendance à avoir moins d’effets sur moi. Sauf que ce soir, la bouche et le nez pris en sandwich entre les plantes sur lesquelles je souffle et leur fumée que j’aspire directement sans perte dans l’atmosphère comme cela arrive habituellement, la détente se fait soudain rapidement sentir.

Au final, contrairement à d’habitude, je me couche tôt, je dors tout de suite et longtemps, et je fais plein de rêves. Connaissant cette plante depuis longtemps, je peux l’affirmer : les effets de ce soir-là sont ceux qu’on obtient dans les conditions les plus favorables, mais elles sont loin d’être assurées à chaque fois. Là, j’ai l’impression d’avoir retrouvé tout le pouvoir de ma plante préférée !

Est-ce pour autant que l’usage en était réellement celui-là ? Rien ne permet bien sûr de l’affirmer mais obtenir un résultat tel que celui-ci incite à réfléchir. Après, on ne peut oublier que bien que le brûleur original du musée d’Athènes soit d’assez petite taille, celui que j’ai créé selon les mêmes principes n’est pas forcément aux mêmes dimensions puisqu’elles me sont inconnues.

Néanmoins , sur cette base de fumigation optimisée, l’hypothèse de l’usage médicinal devient de plus en plus probable, mais il peut très bien s’être agi d’un rituel communautaire, comme il en existe chez les Amérindiens, et qui consisterait à partager la fumée de la plante sacrée ou bienfaisante en soufflant chacun son tour dans le brûleur…Qui sait ?

En ce sens, mon essai avec la damiana est très adaptée car je connais bien cette plante, que j’en connais les effets et que je sais distinguer des meilleurs effets des plus modestes. Mais en même temps, elle n’est pas réellement adaptée car c’est une plante qui pousse en Amérique et qui ne peut donc avoir été connue et utilisée par les Mycéniens. Il s’agissait forcément de plantes européennes, voire, c’est très possible, d’une seule plante dont on utilisait les effets pour une raison médicinale, religieuse ou sociale, etc…

Au final, étant parvenue à maintenir un feu à partir du système de mon brûleur mycénien, et ayant eu des effets dont je reconnais la valeur sans pour autant savoir si c’était la destination de cet objet, je pense poursuivre l’aventure en utilisant cette fois des plantes européennes connues depuis fort longtemps de la civilisation grecque. D’emblée, je pense à l’armoise et à l’absinthe qui ont la faculté de provoquer des rêves, mais on pourrait aussi penser au tussilage, que les Anciens utilisaient déjà pour calmer la toux, et qu’on emploie toujours pour cet usage.

Bien sûr, il n’y aura sûrement pas de certitudes puisque aucun texte ancien ne mentionne cet objet ni l’usage qu’on pouvait en faire. Néanmoins, le voyage de cette aventure humaine est passionnant et sa valeur réside dans le simple fait de l’accomplir pour tenter d’obtenir de petites réponses et de petites lumières.

PS : concernant le couvercle qui ne laisse pas passer les herbes enflammées, je révise mon jugement : si je souffle suffisamment fort, les feuilles passent par les trous et brûlent ce qu’elles touchent – j’ai d’ailleurs une cloque de brûlure au-dessus de la lèvre -.

Je crois donc de plus en plus à une technique d’optimisation de la fumigation pour tirer le plus grand effet des plantes qu’on fait brûler, quel que soit l’objectif pour lequel on les fait brûler.

Affaire à suivre…

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Vidéo : utilisation du brûle-parfum mycénien

Le brûle-parfum mycénien en action, quand le feu prend sur les herbes.

Dans cette vidéo, on ne me voit pas souffler au travers des trous – en quoi consiste peut-être l’innovation de cet objet – mais on voit quand même la sortie de la fumée à travers les trous nombreux du couvercle.

Comme on peut le voir, le dégagement de fumée est lent et doux, contrairement à celui qu’on peut voir sur des systèmes ne comprenant pas de couvercles troués.

On a quelque chose de ressemblant avec les lampes Merlin qui diffusent le cade qu’on brûle toujours dans le sud de la France; à ces différences près qu’il y a beaucoup moins de trous, qu’il est inutile de souffler dessus, que le bois odorant se présente en poudre, et sous la forme d’une pyramide qu’on réalise grâce à un moule. Grâce à ça, le feu brûle sans discontinuer et l’odeur se diffuse doucement : c’est plus efficace, mais plus de 3000 ans se sont écoulés depuis l’époque de notre premier brûleur…

Fumigation du cade avec la lampe Merlin.
(Le papier d’aluminium me permet de protéger les parois du goudron.)

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Collection d’encens en bâtons « Domus » : les plantes sacrées des maisons romaines

Pour cette rentrée 2023, l’idée m’est venue de créer et proposer une collection d’encens historiques à visée pédagogique pour découvrir ou redécouvrir les plantes sacrées et préférées de l’Antiquité ainsi que le sens que cela représentait pour chacune d’entre elles.

Elle est à visée pédagogique, ce qui veut dire qu’elle est d’abord là pour enseigner, mais sa vocation n’est pas de rester dans les salles de classe ou les ateliers du musée ou du parc archéologique : partout où vous voulez l’apprendre vous-mêmes, l’enseigner aux autres ou offrir un parfum romain à un lieu spécifique.

En réalité, les plantes de l’Antiquité sont très nombreuses et malgré des plantes de même espèce et très reconnaissables, on peut être surpris par leur variété. C’est surtout vrai des plantes grecques dont les variétés de thym, de menthe ou d’origan, sauvages et issues des montagnes, sont beaucoup plus racées. Il serait d’ailleurs passionnant de travailler avec elles et d’en partager la connaissance, malheureusement, elles n’existent pas en huiles essentielles – très développées en Europe occidentale mais pas ailleurs où c’est l’emploi de la plante brute qui domine – et globalement, elles nous sont culturellement étrangères, malgré leur cousinage avec des espèces que nous connaissons mieux.

Alors, oui, contrairement à d’habitude, j’ai fait le choix des huiles essentielles, mais uniquement pour compenser la perte due à la présence obligatoire de bois neutre pour créer un bâton. Le reste, c’est la plante brute. Mais si vous deviez brûler du romarin sans bâton, ce serait la plante pure et donc un parfum plus intense : avec l’huile essentielle, je compense ce manque de façon complètement naturelle.

La collection s’appelle « Domus » parce qu’elle vous fait entrer dans une maison romaine. En effet, les plantes choisies sont celles de la culture romaine qui nous est proche, et dont le Sud de la France conserve encore dans son patrimoine culinaire les plantes à parfum aimées par les Romains. Pour autant, l’usage n’était pas forcément le même, et d’une manière générale, nous avons plus utilisé les plantes à parfums de la culture romaine de façon alimentaire qu’ils ne le faisaient eux-mêmes.

Dans une société industrielle, il est difficile de se représenter la place que pouvaient avoir les végétaux dans une société traditionnelle dont l’environnement proche constitue l’essentiel de ses ressources. Pour autant, c’est la situation la plus représentée dans le monde : plantes, minéraux, animaux, investis de pouvoirs ou vertus spéciaux au gré de cultures particulières, sont porteurs de sens et d’émotions variés selon le lieu, l’histoire, les croyances et les usages.

C’était aussi comme ça pour les Anciens. Et bien que certaines croyances et usages aient complètement disparu, ils ont fait partie de l’histoire de notre civilisation.

Ainsi, dans la culture gallo-romaine, la plante sacrée était plus généralement une plante aromatique à feuillage persistant par sa façon de résister au froid et au passage des saisons. A l’inverse des plantes caduques qui perdaient leur feuillage en automne, les plantes à feuillage persistant évoquaient l’immortalité, et ce faisant, les dieux, seuls immortels dans les conceptions anciennes.

Une plante sacrée était donc plus souvent une plante qui semblait ne jamais mourir, et les jardins romains étaient principalement composés d’espèces à feuillage persistant, plutôt semi-alimentaires et très aromatiques. La plante sacrée de l’Antiquité réunissait ainsi le plus souvent ces 3 qualifiés particulières.

J’ai choisi l’encens en bâton artisanal car il est très facile d’utilisation et permet ainsi facilement la rencontre avec l’expérience de fumigation pour laquelle nous avons souvent moins de motivation que les Anciens, y associant moins de vertus médicinales et sacrées.

– Le bâton est fait à la main par mes soins depuis une formulation personnelle décidée pour ce projet et sa composition est à la fois 100% artisanale et 100% naturelle.

– La boîte est fournie avec une notice où sont données quelques informations sur la façon dont les Anciens considéraient la plante et comment ils l’employaient sous forme de fumée odorante, mais exclut l’explication de son utilisation orale – puisque ce n’est pas l’expérience que vous en ferez avec ce produit.

– En revanche, vous pouvez les employer pour créer une atmosphère, vous figurer l’ambiance des maisons de l’Antiquité, l’odeur des autels, des carrefours, des mariages, etc…

_Venez ainsi découvrir les façons anciennes de considérer et d’utiliser : le cyprès, le laurier, la myrte, l’origan et le romarin sur la boutique Etsy du Labo de Cléopâtre !

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Les sens multiples du parfum

Après 5 ans passés en projet Labo de Cléopâtre, explorant l’origine et la diversité des formes du parfum dans nos civilisations, c’est l’image d’un usage du parfum protéiforme tout autant qu’indispensable qui se dessine.

Ce qui monte vers dieux et esprits

Si l’étymologie du parfum – per fumum, par la fumée – laisse deviner les origines probables des premiers usages qu’on faisait du parfum, il faut reconnaître que de nombreuses utilisations de par le monde prouvent sa survivance dans les mœurs. Il faut dire qu’avec un peu de feu, une résine ou une plante à parfum, on est déjà dans l’offrande qui agrée aux dieux, aux esprits et qui nous les concilie.

Pourquoi donc s’en priver ? D’autant que ça fonctionnait avec les résines les plus précieuses d’Arabie comme avec la plus modeste branche de romarin, l’encens du pauvre.

Ailleurs dans le monde, sauge blanche, genévriers divers – dont des espèces diversement parfumées poussent un peu partout -, résines et bois odorants ordinaires ou précieux sont comme des cadeaux que la Terre ferait au Ciel depuis la nuit des temps, éclaboussant au passage les Hommes de leurs bienfaits.

Ces usages évoluant dans le temps et l’espace, la découverte de nouveaux territoires et de nouvelles plantes à parfum enrichissent la palette de ce qu’on peut offrir au divin.

Ainsi, la conquête de l’Inde par Alexandre le Grand a ouvert la porte au safran et au nard dans la culture grecque puis l’a diffusée dans tout le monde méditerranéen – la Bible de l’époque de Jésus le mentionne – pour s’étendre sur les pratiques religieuses mais aussi celles du luxe et de la coquetterie.

Plus tard, la colonisation des Amériques a permis d’autres découvertes parfumées dont celle du baume de Tolu venu remplacer le baume de Judée – devenu rare – dans des recettes sacerdotales datant des premiers siècle de l’ère chrétienne.

Mais chez les Hommes, les intérêts du divin se mêlent toujours aux intérêts humains. Comme les dieux, les esprits qu’on convoque en magie ou qu’on veut se concilier lors d’un événement particulier aiment les parfums et sont d’autant plus sensibles aux demandes qu’elles sont accompagnées d’offrandes d’encens : Afrique, Amérique, Europe, Asie, tous ont depuis la nuit des temps des pratiques de fumigation sacrées, symboliques ou magiques censées renforcer le lien entre les dieux, les esprits – djinns, loas, saints, ancêtres – et les Hommes.

– Parfums pour séduire

Si la littérature grecque se fait le témoin bien souvent de l’utilisation de parfum dans les pratiques religieuses, hygiéniques ou funéraires, elle n’échappe à celle qu’on lui connaît aujourd’hui : le parfum pour séduire.

Les courtisanes de Lucien, les épouses d’Aristophane, sont déjà des femmes dont on pourrait dire qu’elles cocottent – du nom de ces courtisanes du 19 ème siècle qu’on repérait rapidement à Paris – et qu’ainsi on n’oubliait pas ! – à leur parfum puissant et provocateur.

Évidemment, pas besoin de faire commerce de ses charmes : vouloir séduire, vouloir marquer l’esprit de celui qu’on aime ou marquer plus favorablement l’esprit de son mari quand on est dans un couple polygame.

En Afrique, dans les pays où on pratique la polygamie, la concurrence fait rage entre épouses d’un même homme, enrichissant et développant le commerce des artifices de séduction, vêtements sexy, lingerie, parfums – mélange de résines locales, mondiales et de parfums huileux issus de l’industrie et qui ont culturellement gagné une réputation durable comme ensorceleurs.

Ces accessoires indispensables sont censés posséder des vertus magiques et aphrodisiaques après lesquelles les femmes courent pour gagner la première ou unique place dans le cœur du mari, seule condition pour une meilleure qualité de vie.

– Performances techniques et industrielles

Mais en Occident où la chimie gouverne depuis le 19 ème siècle le monde de la parfumerie, le parfum prend d’autres voies plus confidentielles que celles du début de son histoire. Comme dans les premiers âges, le parfum permet toujours de séduire, de se distinguer autant socialement.

Les échelles de prix d’aujourd’hui rappellent la description que Pline fait des différents parfums à la mode à son époque et dont les meilleurs se faisaient dans différentes régions du monde – le parfum d’iris à Corynthe et Cysique, celui de rose à Phasèle, celui de safran à Solis, etc… – comme les parfums sont réputés à Grasse, à Paris ou en Italie.

Pourtant, c’est le défi technique et la compétition industrielle et publicitaire qui vont distinguer un parfum d’un autre, à partir de limites toujours repoussées. Dans la nature, en effet, rares sont les matières premières naturelles qui acceptent de livrer leur parfum.

Les chimistes ont trouvé le moyen de s’en passer et même de faire sentir une fleur muette sans utiliser celle-ci. Des performances qui font la réputation des grandes « Maisons » pour lesquelles travaillent ces parfumeurs chimistes dans leur laboratoire, et la fierté de ceux qui se vantent de porter le jus de telle ou telle « Maison ».

Le parfum chimique est aussi une façon économique d’inonder le marché d’odeurs à la mode : les jus se font à la commande, avec des ingrédients plus ou moins chers selon l’exigence de budget du client. C’est ainsi que vous retrouvez facilement des encens indiens réalisés industriellement en plongeant des bâtons dans des cuves de parfums chimiques français sentant finalement plus ou moins un parfum connu de Dior !

Alors, bien évidemment, quand j’arrive au marché de l’histoire avec mes produits faits à la main avec de vraies plantes, j’ai appris qu’en général, il est inutile d’aborder les vieilles dames, fidèles à la confiance en la science et la chimie de leur génération qui ne jurent que par Chanel et qui se méfient du reste.

Mais je peux quand même compter sur :

– les chercheurs, historiens et reconstituteurs et tous métiers en lien avec l’histoire et la culture

– jeunes préoccupés par l’environnement

– Africains et Africaines du Nord dont la façon de faire des parfums traditionnels du Labo de Cléopâtre ressemble tant à la leur.

D’ailleurs, quand Zohra, ma voisine d’origine algérienne me demande de l’encens, elle me dit : « Maud, s’il te plaît, un peu de parfum. » Moi, là où j’ai grandi, un parfum veut dire un liquide odorant majoritairement chimique sur base d’alcool. Même si depuis, j’ai changé de sentier…

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Le Labo au Marché de l’Histoire de Compiègne 2019

Marché de l’Histoire, Compiègne (60)

13 avril – 14 avril

 

Vous suivez, aimez ce blog et connaissez mon artisanat, mon projet, mes recherches et ma boutique sur Etsy ? Peut-être même avez-vous déjà acheté une de mes senteurs de reconstitution ou une senteur inspirée des connaissances et des croyances des gens de
l’Antiquité.
Si vous passez par Compiègne et ses environs ou êtes tout simplement pas loin de l’Ile-de-France, le week-end du 13 et 14 avril 2019, je vous attends avec une sélection de produits artisanaux, tous conçus avec ma tête et mes mains, dans une aventure qui a commencé ici-même, par mes blogs WordPress.
Je vous y proposerai encens, parfums poudreux de recettes anciennes, parfums huileux faits uniquement à la main, sans huiles essentielles, et selon les recettes et techniques données par Dioscoride et Pline. Je vous y proposerai aussi des kyphis, bien entendu, les encens emblématiques et très sacrés de l’Egypte ancienne  qui étaient spécifiquement brûlés le soir devant les divinités.

Mais il y aura aussi les derniers nés : les fumigations actives de ma composition mais d’origine traditionnelle, qui ont plus un impact sur votre bien-être, et les encens auto-combustibles 100 % naturels, sans charbon, sans huiles essentielles et salpêtre, uniquement de ma composition, mais là aussi, tous conçus par civilisation.

 

 

Ce sera également pour moi l’occasion de vous voir, pour vous d’aborder les produits dans la réalité de leur taille, leurs couleurs, matières, et plus encore leurs odeurs, et le tout par civilisation.
Globalement, la culture antique, surtout gréco-égyptienne est la plus représentée dans ma boutique, mais vous trouverez aussi quelques senteurs indiennes, judeo-chrétiennes, et l’efficacité surprenante et les parfums de quelques plantes ancestrales vikings et amérindiennes.
Alors, je vous attends ici, avec beaucoup de plaisir, le week-end du 13 au 14 avril 2019 :
LE TIGRE
2 RUE JEAN MERMOZ
MARGNY-LÈS-COMPIÈGNE
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Les étapes du kyphi en images

Depuis plusieurs années, déjà, ce blog délivre des articles sur les cosmétiques et les parfums antiques. Mais le Labo de Cléopâtre, c’est aussi un atelier et une boutique artisanale, dont vous retrouvez les produits sur Etsy, dans l’intimité desquels je ne vous fais pas assez entrer.

C’est pourquoi je vous invite dans l’intimité de la réalisation d’un kyphi tel que je le pratique, sachant que j’en propose plusieurs, sur la base des différents textes que j’ai rencontrés sur le sujet qui en parlaient et qui m’ont permis de tenter des recettes, jamais parfaites, jamais semblables, mais qui permettent de s’approcher néanmoins du produit d’origine.

Il y aurait en effet plein de choses à dire sur les végétaux de l’Antiquité contre ceux de l’époque moderne, l’utilisation de ce qu’on appelle une plante toxique et qui n’était pas crainte à l’époque, l’emploi du kyphi lui-même, le choix de remplacer certains ingrédients introuvables par d’autres leur ressemblant, etc. En somme, la question revient entre le « doit-on faire sachant que ce ne sera pas vraiment ça » et « renonçons car nous savons que ce ne sera pas parfaitement ça ».

Dans mon atelier, le verre du kyphi est à moitié plein. Ca tombe bien, outre sa fonction d’encens, il aromatisait aussi le vin, surtout dans sa fonction de médicament ! Et dans ma boutique, il en est le produit phare, puisqu’on m’en a commandé des Bermudes à l’Angleterre, en passant par  la France, l’Irlande, Hawaï, et les Etats-Unis où il est très apprécié – les pays anglo-saxons semblant vraiment être amateurs de kyphis et de culture égyptienne.

C’est d’ailleurs dans le vin que tout commence puisque les raisins secs y séjournent avant de s’y faire ajouter tous les aromates complexes qui viendront lui donner sa senteur si caractéristique. De tous les produits de ma boutique, le kyphi est celui qui demande le plus de travail. Le jour du mélange, déjà, puisqu’il faut réduire tous les ingrédients qui ne le sont pas en une poudre, que ce soit au mortier ou à la meule. Le tamis est justement là pour déterminer ce qui doit y passer. Enfin, le miel est ajouté et la préparation peut passer au mixeur.

Une fois devenue une pâte, le kyphi va encore patienter une semaine, évaporer le vin qui lui restait, gagner en arômes en séchant et devenir collant – à condition d’être retourné chaque semaine et protégé le reste du temps. La dernière étape – la plus longue après le mélange – est celle du façonnage en pastilles. C’est sous cette forme que je leur fais subir leur dernier et plus long temps de séchage dans un meuble dédié où ils sont à l’abri de la lumière et de la poussière. En toute dernière phase, je les empaquette dans de petits sachets individuels réalisés à la main. Ce sont eux qui rejoindront les colis et que vous déballerez un par un chaque fois que vous souhaiterez les faire brûler.

J’en propose plusieurs recettes, tous gréco-égyptiens pour l’instant, issus des livres des médecins de l’Antiquité. Les kyphis de la boutique sont ici

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Mon brûle-encens universel testé par Sybille

Mes dernières fumigation d’encens avaient été catastrophiques, la cause: le charbon. J’ai eu tous les problèmes possibles: j’en avais plein sur les doigts, le charbon s’éteint inopinément (trois fois!) et se rallume difficilement, les grains d’encens tombe à coté. Finalement lorsque la fumigation fut terminé, l’odeur du charbon est resté plus forte que celle de […]

via test encensoir sans charbon — Sybille De Mgh

Brûle-parfum de l’Antiquité

 

Prises au Musée du Louvre, ces photos de brûle-parfum de l’Antiquité donnent un aperçu des pratiques de fumigation qui avaient cours chez les Anciens.

Les quatre premières concernent l’Egypte antique : la première photo montre un autel classique, la seconde est un encensoir à main dont l’usage et la pièce perdue ont pu être devinés grâce à la représentation du Pharaon Ramsès faisant une offrande parfumée.

Les autres photos sont des brûle-parfum issus du Département des Antiquités Orientales, trouvés en Arabie dans l’Antiquité. On y trouve d’ailleurs représentés les animaux typiques de cette région qu’on y trouve encore et qu’on vénère toujours comme de précieuses aides et pourvoyeurs de vie.

Celui portant des inscriptions est nominatif et célèbre la personne qui a offert le brûle-parfum, un homme devenu gouverneur, à son seigneur. Ces offrandes sont associées à des pratiques propitiatoires et magiques censées éloigner le malheur et attirer la bonne fortune sur le lieu.

 

 

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Encens de Noël d’Europe

Utiliser la fumigation pour célébrer les moments sacrés est une pratique aussi ancestrale qu’universelle, qu’on s’accorde à faire coïncider avec la maîtrise du feu qui décuplait la puissance odorante de certains bois et résines. Geste primitif et sacré sur tous les continents qui ont pu l’intégrer à de nombreuses occasions et rituels, il tend à se perdre dans l’Occident déchristianisé où toute pratique spirituelle est en recul.

Aujourd’hui, j’ai décidé de vous faire découvrir deux encens de Noël associés à la culture européenne que j’ai recréés spécialement dans ma boutique artisanale.

Le premier, d’origine chrétienne, est en lien avec la culture judaïque antique et de la Méditerranée qui ne concevait ses parfums qu’à partir des matières premières venues de l’Arabie. Issu des paroles de l’Evangile, il adapte à la lettre le passage de Matthieu où les Rois Mages apportent des offrandes à l’enfant Jésus qui vient de naître et qui matérialisent pleinement celles qu’on faisait à un souverain : l’or, la myrrhe, l’encens, qui valaient tous trois à l’époque le même prix.

Pour recréer cet encens royal, j’ai associé des feuilles d’or au meilleur encens du monde, l’oliban hojari vert d’Oman, et la myrrhe Suhul, la meilleure de Somalie. L’excellence de son parfum suffit à donner une idée de ce que pouvait être un encens royal dans l’Antiquité – pour ceux qui sont curieux de l’histoire – tout en élevant le niveau de foi d’un coeur croyant.

Néanmoins, par la très haute qualité des ingrédients qui le constitue – que j’ai spécialement fait venir du pays de l’encens -c’est un produit cher à utiliser spécialement pour cette période de l’année qui, dans la tradition chrétienne, s’est d’abord située le 6 janvier avant de se déplacer au 25 décembre. Tandis que les Orthodoxes ont conservé cette date du 6 janvier, le Catholicisme en fait la date de la visite des Rois Mages.

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Encens Offrande des Rois Mages de ma boutique

Un autre encens de Noël, de la tradition celtique cette fois, est celui des 12 corbeaux, remontant à une vieille coutume germanique qui commençait autrefois à Yule – le solstice d’hiver. Cette tradition perdure au Tyrol, en Bavière, et en Autriche où on considère que la période qui va de Noël au 6 janvier est une époque où le voile entre les mondes est le plus fin et où les esprits des morts et les vivants peuvent se rencontrer. C’est pourquoi on a coutume d’encenser tous les espaces de sa maison pendant ces 12 jours qui vont de la fin de l’ancienne année jusqu’au début de la nouvelle pour les purifier de toute mauvaise et ancienne influence.

Cet encens des 12 corbeaux est particulier pour de multiples raisons :

  • Il emploie un nombre symbolique de 7 à 77 substances odorantes qui se doivent d’avoir des qualités purifiantes
  • Bien qu’il n’ait cessé d’évoluer et intègre des matières premières de tous les horizons, une place importante est laissée aux plantes et résines européennes qu’on appelle « encens natifs »
  • Il est le coeur d’une pratique spirituelle et culturelle toujours vivace qui considère cette période comme délicate, rendant nécessaire la purification
  • C’est un encens exigent qui doit se faire brûler chaque jour dans chaque pièce de la maison, du 25 décembre au 6 janvier : 12 jours pour les 12 corbeaux.

Pour créer mon encens de purification des 12 corbeaux, j’ai suivi la recette d’un site allemand qui donnait une liste d’ingrédients qui étaient au nombre de 7 et auxquels j’ai donné des proportions relatives à leur puissance. La tradition étant ancienne et ayant évolué, il n’y a pas de recette précise, juste la nécessité d’utiliser des plantes aux vertus purifiantes, ce qui constitue déjà en soi une culture.

Il est censé être brûlé pendant 12 jours dans chaque pièce de votre maison pour en enlever toute influence négative et accueillir les nouvelles énergies.

Si vous vous intéressez à la spiritualité et surtout à la culture celtique, essayez cette pratique d’encenser pendant la période des 12 corbeaux : ceux qui en ont conservé la pratique assurent qu’on en est transformé. Pourquoi ne pas essayer et redécouvrir ?

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L’encens des 12 corbeaux de ma boutique

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